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BOILEAU.

primer avec vigueur des choses particulières dans leur particularité même ? Peut-être n’a-t-il quitté si souvent la voie où l’engageait son vrai génie, pour se faire moraliste et manieur d’idées, que par le désir de mettre dans ses vers des vérités d’un ordre plus universellement intelligible. Cependant ne lui prêtons pas trop, même à lui, de défiance de soi et d’humilité. Il estimait ses descriptions réalistes de fort bons morceaux ; il ne s’est jamais repenti de ses marmitons crasseux, et sur ses vieux jours, nous étalait ingénument les loques d’une avare et le linge sale d’une coquette. Il estimait sans doute que, quand par la probité absolue de son expression, l’artiste impose le sentiment de la réalité de l’objet qu’il exprime, si particulier que soit cet objet, la copie prend une valeur universelle et constante. L’original fût-il une forme unique en son genre que jamais la nature ne réalisera une seconde fois, l’imitation, à force de sérieuse conviction et de fidélité, en fait un type.

Sur les principes qu’on vient de voir repose cette défiance de la nouveauté, qu’on peut remarquer dans l’Art poétique, et qui va s’éclairer pour nous d’un jour nouveau. On s’est avisé parfois de croire que Boileau enfermait la littérature dans l’éternelle redite des mêmes lieux communs ; et c’est bien ainsi que les classiques dégénérés du dernier siècle ont interprété sa théorie par leur pratique. Mais Boileau, sur ce point, ne pense pas autrement que ses contemporains : et ces contemporains, qui