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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/114

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BOILEAU.

notre expérience et notre recherche personnelles nous amèneront. Le poète, qui se proposerait de ne rien penser qu’on ait pensé avant lui, s’exposerait à marcher contre la raison et loin de la nature : il ferait des vers « monstrueux ». La poésie en effet, depuis l’origine, peint l’homme, le type éternel de l’homme : qui n’en veut plus, et veut du nouveau, ne peut faire que des « monstres ». Ce n’est pas qu’il ne reste rien à découvrir : mais la nouveauté n’a pas de prix, sans la vérité. « Qu’est-ce qu’une pensée neuve, brillante, extraordinaire ? » demande Boileau dans une de ses Préfaces. Et il répond par un des mots vraiment profonds qu’il ait jamais écrits : « Ce n’est point, comme se le persuadent les ignorants, une pensée que personne n’a jamais eue ni dû avoir : c’est au contraire une pensée qui a dû venir à tout le monde et que quelqu’un s’avise le premier d’exprimer. » Les grandes découvertes de la science sont des pensées qui devaient venir à tout le monde, et qui ne viennent qu’à quelques-uns. La gravitation universelle est dans la chute d’une pomme ; la pesanteur de l’air se révèle par l’ascension de l’eau dans un corps de pompe : mais il faut être Newton ou Torricelli pour voir ce que, depuis eux, tout le monde voit. Tout fait contient sa loi : mais nul ne s’en doute jusqu’au jour où quelque savant s’avise le premier de la formuler ; quoi de plus neuf, et quoi de plus ancien, que cette loi, contemporaine de l’univers, et qui n’avait point trouvé encore d’intelligence pour la contempler ? En art, en poésie,