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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/118

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BOILEAU.

dans l’expérience actuelle, qu’elle s’offre partout et toujours la même à la sensation et à l’imitation, on aboutit aisément au mépris et à la négation de l’histoire. On néglige comme indifférentes toutes les variations de l’esprit humain ; et depuis le costume jusqu’aux lois, depuis les formes de langage jusqu’aux façons de sentir, tout ce qui est localisé dans le temps et dans l’espace, particulier à une race, à un groupe d’individus ou à un individu, tout cela est compté comme non avenu. Il n’y a de digne d’attention que le type universel et fixe de l’humanité. Cela n’a pas de bien graves conséquences en peinture et en sculpture : la vérité et la beauté n’y sont point essentiellement attachées aux noms et aux circonstances historiques ; les éléments naturels et physiques du sujet importent seuls. Mais quand la matière de l’œuvre d’art est l’âme humaine, on ne peut plus faire abstraction de l’histoire. Les passions générales ne vivent que dans des formes particulières, déterminées à chaque siècle et en chaque homme par un concours unique de causes. Elles ne subsistent pas dans l’abstrait. Pour peindre l’homme, il faut bien peindre des Romains, des Français, des Anglais : et si le poète qui représente Alexandre ou César ne sait pas ou ne daigne pas leur faire des âmes antiques, il en fera, sans y penser, ses contemporains. Ce qui échappe à l’histoire tombe sous l’empire de la mode.

Boileau ne s’en avisa pas. Il fut bien de son temps par le mépris et l’ignorance de l’histoire ; et la plu-