Aller au contenu

Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
148
BOILEAU.

vie de salon, n’offrait pas le même modèle à l’imitation que, par exemple, la brutale Angleterre de Shakespeare, ou notre turbulente et confuse société. Il y avait, au moins dans les mœurs extérieures, plus de gravité, détenue, de décence : la « bête humaine » était muselée, sinon détruite. On l’enveloppait de formes, et ce qui nous plaît aujourd’hui comme une vive expression de la nature, eût fait l’effet alors d’une pure inconvenance. Notre littérature, moins mondaine, ou notre monde, moins poli, ne s’effarouchent pas du débraillé : le public d’honnêtes gens auxquels s’adressaient nos classiques, maintenait dans les écrits une sorte de réserve aristocratique, d’une simplicité très raffinée, au moyen de laquelle on pouvait tout faire entendre, mais qu’on n’avait pas le droit de rejeter un seul instant. Cette société s’était fait un art conforme à son esprit : peinture, sculpture, architecture, jardins même, mobiliers et costumes, tout respirait le même goût de noble élégance et de sévérité pompeuse. Nos grands écrivains n’ont pu s’élever au-dessus de ce goût, qui était autour d’eux et en eux, qu’en s’y conformant d’abord, et s’ils voulaient exprimer la nature basse ou brutale, ils devaient non pas l’atténuer, mais en rendre la bassesse élégante et la brutalité noble.

On ne se faisait pas non plus alors de la littérature l’idée que nous nous en faisons aujourd’hui. Les historiens et les critiques nous ont appris à lui attribuer un caractère éminemment grave et philosophique, à y respecter une des formes les plus