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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/153

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LA CRITIQUE DE BOILEAU.

expressives de la civilisation générale, où sont contenues toutes les conceptions de la vie et de la destinée humaines, toutes les représentations de l’univers et de l’être, par lesquelles l’humanité s’est consolée ou désespérée à chaque siècle. Et la littérature dispute à la foi attiédie, à la philosophie et à la science peu populaires la direction des consciences. Nos poètes se font les missionnaires de l’Idée, les pontifes de l’Absolu et de l’Inconnaissable. Nos romanciers érigent leurs fictions en expériences, leurs hypothèses en documents. Dès qu’un jeune homme, au sortir du collège, se fait imprimer, c’est pour donner une direction à l’humanité : on ne songe plus à l’amuser, et il y paraît. Dans l’ancienne société, bien assise, qui se croyait fondée pour l’éternité et sur la vérité, les lettres étaient le charme des loisirs, un repos et une agréable distraction des esprits. Le plaisir du lecteur était l’objet principal de l’écrivain ; les plus grands, Molière ou Racine, ne se sentaient pas humiliés de réduire là leur fonction, et c’était parce qu’ils tentaient cette « étrange entreprise » de faire rire ou pleurer « les honnêtes gens », qu’ils tâchaient de les servir à leur goût. C’était même pour amuser plus de gens qu’on faisait vrai, et qu’on s’attachait à la nature.

L’art s’employait à donner un plaisir, non seulement par le choix de ses objets, mais surtout par l’aspect qu’il en montrait et l’expression dont il les revêtait. Il avait des procédés de traduction qui, sans affaiblir ou fausser, procuraient une sensation