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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/154

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BOILEAU.

agréable aux hommes de ce temps-là. Il ne leur déplaisait pas de sentir entre leur esprit et la nature un esprit puissant ou fin, un intermédiaire officieux qui se chargeait d’accommoder celle-ci à celui-là. Tandis que nous aimons à prendre le contact de la nature même, à ce point que le fruste et l’inachevé ont pour nous une force incroyable de séduction, et que nous donnerions pour les Pensées de Pascal, qui sont des notes, et pour les Sermons de Bossuet, qui sont des brouillons, les Provinciales et les Oraisons funèbres, dont la seule infériorité est d’être finies, nos aïeux d’il y a deux cents ans goûtaient sans inquiétude la perfection de l’art. La beauté du travail les charmait autant que l’excellence de la matière. Habitués à regarder surtout dans la nature l’homme, et dans l’homme l’intelligence, ils aimaient à saisir l’empreinte de l’esprit sur les choses : remarquer de quelle prise il les attirait, quelle image il en rendait, par rapport à lui, non à elles, cela faisait en grande partie l’agrément de la littérature ; et pour tout dire, l’artiste intéressait au moins autant que l’objet.

Tandis que les beaux esprits s’amusaient à décorer la nature et poursuivaient l’ingénieux ou l’étonnant, nos grands écrivains trouvaient le juste point où le naturel est élégamment exquis et l’intense vérité se déploie avec grandeur. Boileau, qui faisait la théorie de leur génie, estimait aussi la conciliation possible entre le goût du temps, qu’il jugeait légitime, et le vrai caractère des choses, qu’il ne consentait pas à