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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/18

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BOILEAU.

conscience, il rendit un bénéfice qu’il avait obtenu du temps où on le destinait à l’Église, et il restitua même une somme égale à tous les revenus qu’il avait touchés. Tout cela n’est pas d’un avare, ni même d’un homme qui tient à l’argent. Il administrait prudemment son bien, parce que l’économie le mettait à même de faire de la littérature comme il l’entendait. Et il l’entendait de haute et fière façon : il lui répugnait de faire de la poésie un gagne-pain ; on dit qu’il ne reçut jamais rien des libraires que ses œuvres enrichissaient. Il excusait Racine de recevoir des droits d’auteur, mais il n’usa pas pour lui de la permission qu’il donnait à autrui. Il eût cru s’amoindrir et ravaler son art, s’il en avait vécu. Il ne voulait pas davantage se mettre à la suite des grands, et s’en faire le « domestique » : il ne reçut de grâces que du roi, c’est-à-dire de l’État. Avec de telles maximes, on peut lui pardonner de n’avoir pas jeté l’argent : ses bonnes rentes, c’était l’indépendance. Par elles, il pouvait ne travailler que pour lui, c’est-à-dire pour l’idéal qu’il avait conçu.

Il dédaigna même de s’assurer le patronage d’un de ses frères, qui était déjà un personnage dans le monde des lettres. Gilles Boileau, traducteur et poète, tenait la philosophie, la galanterie, tous les genres de prose et de vers à la mode. Précieux à l’occasion, s’entendant à aiguiser la pointe précieuse comme à enfler la fade hyperbole, il se vantait surtout d’avoir « l’humeur critique » et d’avoir, dès ses plus jeunes ans, « appris l’art de railler les gens ». Il s’y