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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/195

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LA CRITIQUE DE BOILEAU.

quelque chose dans son autorité : sa gravité d’honnête homme qui n’a pas connu les passions le met en crédit auprès des réformateurs scrupuleux, qui, après le manifeste de J. Collier, entreprennent d’enseigner la décence et la moralité à la littérature anglaise, la plus brutale et la plus dévergondée de l’Europe. Mais surtout sa gloire acquise par des œuvres critiques et dogmatiques, ses vers passés en proverbes ou reconnus pour les lois de l’art d’écrire, persuadent à des gens de lettres par toute l’Europe que les théoriciens peuvent créer une littérature ou lui imposer une direction : on perd de vue tout ce que l’œuvre de Despréaux continue et achève ; au lieu d’un terme et d’un couronnement, on y voit un commencement, une création de mouvement ; et l’on agit en conséquence. Ericeyra, Luzan, Dryden, Pope, Gottsched, Lessing même, ce ne seront par toute l’Europe que dresseurs de théories qui définiront la littérature avant de la faire, et qui puiseront dans l’exemple de Boileau la force ou l’audace de s’ériger en directeurs de l’esprit national : et cet exemple sera pour quelque chose dans le succès que plusieurs atteindront.

Cependant, en dépit de ces apparences qui semblent inviter à y insister, il n’y a pas à considérer davantage ici l’influence de Boileau sur les littératures étrangères. Car cette influence est tellement inséparable de l’influence générale de l’esprit français à l’étranger au xviiie siècle, que même elle s’y confond et qu’on ne peut la raconter sans faire