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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/32

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BOILEAU.

que Sa Majesté à prendre les villes qu’elle assiégeait ». Mais l’année suivante, il fallut partir ; et leur ignorance des choses militaires, leur gaucherie à cheval, leur peu d’inclination à se faire tuer, donnèrent lieu à toute sorte d’épigrammes et d’anecdotes, dont s’amusèrent leurs ennemis, leurs envieux et la malignité secrète des indifférents. Nous connaissons tous ces méchants propos par Mme de Sévigné, qui dépeint à son cousin Bussy « ces deux poètes historiens, suivant la cour, plus ébaubis que vous ne le sauriez penser, à pied, à cheval, dans la boue jusqu’aux oreilles ». Pradon ne nous en dit pas plus, avec plus d’aigreur, quand dans de mauvais vers oubliés, il représente « les Messieurs du Sublime », ine longue rapière au côté, importunant les généraux, moqués des soldats, notant sur leur carnet des termes de la langue militaire, ici jetés par leur cheval dans un noir bourbier, là tirant de longues lunettes pour regarder l’ennemi de très loin. Pradon n’est qu’un écho, évidemment : ce qui ne veut pas dire qu’il y ait grand chose de vrai dans tout cela. Mais ses médisances et celles de Mme de Sévigné prouvent une chose : nos deux poètes ne sont pas à leur place dans un camp. Ils n’ont pas la désinvolture du courtisan, homme de cheval et homme d’épée, même quand il n’a pas le cœur d’un soldat. Aux yeux de tous, et par leurs allures, leurs habitudes, leurs propos, ce sont deux bourgeois qui devraient être ailleurs : ni Voiture, ni Sarrazin, ni Saint-Amant, aucun des poètes de l’âge précèdent, n’eût paru aussi dépaysé, et leur pré-