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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/53

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LA POÉSIE DE BOILEAU.

sant qui enlève la pensée, cette envolée qui fait la poésie. Même la fantaisie, chez Boileau, est liée inséparablement à l’harmonie du vers ; redites ces deux vers connus :

Et la scène française est en proie à Pradon.
Faire siffler Cotin chez nos derniers neveux.


Où sont l’esprit et la poésie là dedans ? N’est-ce pas dans le contraste de l’idée et de la forme ? Et que l’idée serait terne, si le trait satirique n’avait l’ample ouverture de l’alexandrin héroïque ! Ce petit Pradon logé au bout d’un vers dont les sonorités s’étalent largement, ce grotesque Cotin entraîné dans le mouvement enthousiaste d’un vers d’hymne, voilà ce qui hausse le simple sens de Despréaux jusqu’à la poésie.

Le malheur, c’est que nous lisons trop Boileau des yeux, et avec l’esprit, pour la pensée. Nous ne l’écoutons pas assez, seulement pour le plaisir de l’oreille. Il nous en avait pourtant bien avertis, lui qui jugeait de ses vers par l’oreille et croyait les justifier assez en attestant qu’il n’en avait jamais fait de plus « sonores » ; lui qui défendait le mot de lubricité pour le bon son qu’il faisait à la rime ; lui qui tant d’années avant qu’on l’eût inventé, connaissait l’art de la lecture, et qui lisait ou disait les vers en perfection, de façon à transporter les plus froids auditeurs : il les débitait tout simplement en poète, rendant sensibles toute sorte d’effets d’harmonie et de rythme, qui échappent à la lecture des yeux. Et dans les