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Page:Larroumet - Racine, 1922.djvu/159

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LES SUJETS.

Iphigénie et Phèdre sont imitées d’Euripide, le seul des trois tragiques grecs que Racine ait directement suivi, non seulement parce qu’il trouvait Sophocle trop parfait et, sans doute, Eschyle trop loin de nous, mais aussi parce que « Euripide étoit extrêmement tragique, c’est-à-dire qu’il savoit merveilleusement exciter la compassion et la terreur, qui sont les véritables effets de la tragédie ». Il y a là une affinité de nature : le pathétique, c’est-à-dire le don d’émouvoir, est le résultat de la sensibilité, essence du génie racinien. Mais Euripide est subtil et sophiste, souvent maladroit et de mauvais goût. Il est incrédule et philosophe. Il offre tantôt la naïveté, tantôt la grossièreté du génie grec. Racine lui laisse ces défauts, et, sur le fond grec, il étend sa délicate élégance. Il lui laisse de même des moyens d’intérêt, excellents pour Athènes, inacceptables à Paris : au mysticisme du chaste adorateur de Diane il substitue un amour d’« honnête homme », et à la maladie physique de la païenne, l’égarement de la chrétienne damnée. Encore plus libre est l’imitation qui lui fait trouver une éloquence concise dans la rhétorique enflée de Sénèque.

Ce procédé de création, tirant la vérité contemporaine de la vérité historique, est surtout frappant dans Bérénice. Ici, le poète n’a pris à l’histoire que l’indication de son sujet, en deux lignes, et il l’a développé avec une vraisemblance qui ne demandait aucune concession au spectateur le plus versé dans l’histoire romaine. Aujourd’hui l’érudition a retrouvé le vrai Titus et la vraie Bérénice : Titus, homme de plaisir et empereur surfait ; Bérénice, une vieille