Aller au contenu

Page:Larroumet - Racine, 1922.djvu/160

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
156
RACINE.

maîtresse pratique et tenace. Tous deux eussent été fort peu dignes de la tragédie. Dans Britannicus, le poète rivalisait avec « le plus grand peintre de l’antiquité », et, comme lui, il voulait peindre « la cour d’Agrippine et de Néron ». Il a donc suivi Tacite de près, mais il est beaucoup trop modeste en disant « qu’il n’y a presque pas un trait éclatant dans sa tragédie dont il ne lui ait donné l’idée ». Ses imitations n’ont été que de détail, tantôt traductions, où il élevait son français à la hauteur d’un tel latin, tantôt réminiscences, où il disait autrement et aussi bien. Avec le cadre, les personnages et le sujet que lui fournissait l’historien latin, il a peint un tableau où l’arrangement, le dessin et la couleur lui appartiennent. Mais, outre l’invention constante dans les sentiments et le dialogue, il a surtout fait œuvre de poète dramatique en mettant en action ce que Tacite mettait en récit. Même scrupule historique dans Mithridate, où il a représenté son héros avec « sa haine violente contre les Romains, son grand courage, sa finesse, sa dissimulation, et enfin cette jalousie qui lui étoit si naturelle ». Mais ce Mithridate, qui est celui de Florus, de Plutarque et de Dion Cassius, parle et agit avec une intensité de vie dont aucun de ces historiens ne donnait l’idée. Le héros mort ressuscite ; il ne faisait qu’intéresser, et il émeut.

Bajazet est une histoire presque contemporaine, c’est-à-dire une exception dans le théâtre de Racine et dans celui de son temps. Le poète a donc pris soin d’expliquer le choix d’un tel sujet. Pour cela, il s’est appuyé sur la définition même de la tragédie :