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Page:Larroumet - Racine, 1922.djvu/195

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LE STYLE ET LA POÉSIE DE RACINE.

de sa pensée, le poète emploie tantôt le terme ordinaire, tantôt le terme relevé, tantôt le mot propre, tantôt une expression générale. M. Marty-Lavaux relève l’erreur des commentateurs suivant laquelle les fameux chiens d’Athalie n’auraient passé « qu’à la faveur de l’épithète dévorants » : ces chiens se retrouvent dans la même pièce, sans épithète. Ainsi de beaucoup d’autres.

D’autres fois, ce sont des mots sans caractère propre qui empruntent au sens dont le poète les remplit une force et une hardiesse uniques. Ainsi, Agrippine rappelant son mariage avec Claude :

 
Une loi moins sévère
Mit Claude dans mon lit et Rome à mes genoux.

Ainsi Roxane se promettant de montrer à Atalide le cadavre de Bajazet :

Quel surcroît de vengeance et de douceur nouvelle
De le montrer bientôt pâle et mort devant elle,
De voir sur cet objet ses regards arrêtés
Me payer les plaisirs que je leur ai prêtés.

On peut dire sans paradoxe que le mot propre, l’expression consacrée par l’usage courant, est le fond de la langue de Racine. Par les figures et les alliances de mots, il leur donne un sens noble, neuf ou hardi, mais toujours fondé sur la nature ou l’analogie. À cette simplicité il joint la propriété et la pureté ; il élimine les expressions archaïques et évite les néologismes.

Sa création constante est dans la manière infiniment souple et variée dont il emploie le sens de ces mots, les combine et les assemble. À ce point