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Page:Larroumet - Racine, 1922.djvu/69

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CARRIÈRE THÉÂTRALE.

joué d’original. Mlle Champmeslé avait alors vingt-huit ans. Au témoignage des frères Parfaict, elle n’était pas régulièrement jolie : « Sa peau n’étoit pas blanche et elle avoit les yeux extrêmement petits et ronds. » En revanche, elle était « d’une taille avantageuse, bien prise et noble », et ses défauts « étoient, pour ainsi dire, effacés par les grâces naturelles répandues sur toute sa personne ». Surtout, elle possédait la plus grande des séductions théâtrales, une voix enchanteresse. En l’entendant, « on étoit forcé de verser des larmes, quelque force d’esprit qu’on eût, et quelque violence qu’on se fît sur soi-même ». La Fontaine lui disait :

Est-il quelqu’un que votre voix n’enchante ?
S’en trouve-t-il une autre aussi touchante,
Une autre allant si droit au cœur ?

D’une courte phrase, Mme de Sêvigné résume ces divers témoignages : « Elle est laide de près, mais, quand elle dit des vers, elle est adorable. » Louis Racine, qui a pour la Champmeslé la rancune d’un fils vertueux pour une ancienne passion de son père, lui accorde la beauté, mais lui refuse l’esprit : « Cette femme, dit-il, n’étoit point née actrice. La nature ne lui avoit donné que la beauté, la voix et la mémoire ; du reste, elle avoit si peu d’esprit, qu’il falloit : lui faire entendre les vers qu’elle avoit à dire, et lui en donner le ton. » Mais, d’autre part, nous voyons, parmi les familiers de la comédienne, Boileau, qui ne fut jamais aveuglé par l’amour, la Fontaine, qui lui écrivait des délicieuses lettres, de celles que l’on adresse seulement aux femmes capables de les appré-