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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/127

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entendre raison au pape ; rendez-le sage, autrement il n’a qu’à perdre avec nous. Dites-lui bien qu’il n’est plus au temps de Grégoire, et que je ne suis pas un Débonnaire. Il a l’exemple de Henri VIII ; sans avoir sa méchanceté, j’ai plus de force et de puissance que lui. Qu’il sache bien que, quelque parti que je prenne, j’ai six cent mille Français en armes, même un million, qui, dans tous les cas, marcheront avec moi, pour moi et comme moi ; les paysans, les ouvriers ne connaissent que moi, ils me portent une confiance aveugle. La partie sage, éclairée, de la classe intermédiaire, ceux qui soignent leurs intérêts et recherchent la tranquillité, me suivront ; il ne restera donc plus pour lui que la classe bourdonnante, qui, au bout de huit jours, l’aura oublié pour commérer sur de nouveaux objets. » Et comme l’archevêque, fort embarrassé de sa contenance, voulait balbutier quelques paroles : « Vous êtes en dehors de tout ceci, Monsieur l’archevêque, reprit l’Empereur d’une voix toute radoucie ; je partage vos doctrines, j’honore votre piété, je respecte votre caractère. »

L’Empereur, je le comprends bien aujourd’hui, n’avait jeté sans doute tout cela en avant que pour que nous le fissions fructifier au-dehors ; mais il se méprenait bien sur nos dispositions, celles du palais du moins. Une portion, la moins réfléchie, n’hésitait pas, dans ces occasions, à le blâmer tout bonnement et hautement ; l’autre portion, la mieux intentionnée, se donnait bien de garde d’en divulguer un seul mot, dans la crainte de lui faire tort dans l’opinion ; car tels étaient en général notre travers d’esprit, notre manière singulière de juger, d’interpréter l’Empereur, bien que sans malveillance, mais seulement par légèreté, par inconséquence ou par mode, qu’au lieu de chercher à le rendre populaire, nous sommes peut-être ceux qui lui avons fait le plus mal. Je me souviens très bien que, précisément pour ce fameux concordat de Fontainebleau, le matin qu’il parut inopinément dans le Moniteur, on se disait confidentiellement dans les salons de Saint-Cloud que rien n’était moins vrai que cette pièce ; qu’elle était fausse et controuvée. D’autres disaient à l’oreille que le fond en était vrai sans doute, mais qu’il avait été arraché au pape par la frayeur que lui avaient causée la colère de l’Empereur et sa violence ; si bien que je ne serais pas étonné que cet heureux épisode, si dramatique, de Napoléon à Fontainebleau, traînant le père des fidèles par ses cheveux blancs, ne fût pas sorti précisément de l’imagination du prosateur poétique, mais qu’il l’eût en effet, recueilli de la bouche, des courtisans, des serviteurs mêmes de l’Empereur. Et pourtant voilà comme on écrit l’histoire !