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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/128

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Conversation vive de l’Empereur avec le gouverneur, en tiers avec l’amiral.


Dimanche 18.

Le temps, toute la nuit et le jour, a été des plus affreux. Sur les trois heures, l’Empereur est sorti, profitant d’une éclaircie : il est entré chez moi. Nous sommes passés chez le général Gourgaud, qui était malade, et de là chez madame de Montholon, qui a suivi dans le jardin. L’Empereur était d’une extrême gaieté ; la conversation s’en ressentait. Il a entrepris d’amener madame de Montholon à faire sa confession générale, insistant surtout sur le point de départ. « Allons, disait-il, parlez sans crainte ; que le voisin ici ne vous gêne pas, ne voyez en lui que le confesseur : nous n’en saurons rien le quart d’heure d’après, etc., etc. »

Et vraiment je crois qu’il allait persuader, quand malheureusement le gouverneur est venu interrompre de si heureuses dispositions ; il a paru, et l’Empereur a gagné brusquement le fond du bois pour ne pas le recevoir. M. de Montholon nous a rejoints peu d’instants après, pour faire connaître à l’Empereur que le gouverneur et l’amiral demandaient instamment l’honneur de lui parler. L’Empereur a cru à quelque communication de leur part ; il est revenu dans le jardin, où il les a reçus.

Nous sommes demeurés en arrière avec les officiers du gouverneur. Bientôt la conversation a été vive de la part de l’Empereur, qui, se promenant entre le gouverneur et l’amiral, n’adressait guère la parole qu’à celui-ci, même en parlant de l’autre. Nous demeurions à une assez grande distance pour ne rien entendre distinctement ; mais j’ai su plus tard qu’il lui a répété de nouveau, et avec plus de force et de chaleur peut-être, tout ce qu’il lui avait déjà dit dans les conversations précédentes.

Sur les bonnes interprétations que l’amiral, qui jouait le rôle de médiateur, s’efforçait de donner aux intentions du gouverneur, l’Empereur a dit : « Les fautes de M. Lowe viennent de ses habitudes dans la vie. Il n’a jamais commandé que des déserteurs étrangers, des Piémontais, des Corses, des Siciliens, et tous renégats, traîtres à leur patrie, la lie, l’écume de l’Europe. S’il eût commandé des hommes, des Anglais ; s’il l’était lui-même, il aurait des égards pour ceux qu’on doit honorer. » Dans un autre moment, l’Empereur a dit qu’il était un courage moral aussi nécessaire que le courage du champ de bataille ; que M. Lowe ne l’avait pas ici vis-à-vis de nous, en ne rêvant que notre évasion, plutôt que d’employer, pour l’empêcher, les seuls moyens vrais, sages, raisonnables, froids. L’Empereur lui a dit aussi que, du reste, son corps était entre les mains des méchants ; mais que son âme de-