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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/138

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magne ; croyez qu’il est encore derrière le Rhin, où il se meurt de peur, et nous envoie des contes. Le temps vous apprendra si on m’en impose à moi. »

Et les histoires épuisées, l’Empereur me renvoya, disant : « Que font-ils, que doivent-ils dire à présent ? Certes, aujourd’hui je leur donne beau jeu. »


Jeudi 22.

Aujourd’hui a été un véritable jour de deuil pour moi : c’est le premier jour, depuis notre départ de France, où je n’ai pas vu l’Empereur. Des circonstances heureuses faisaient que j’étais le seul qui eusse jusque-là joui de ce bonheur. Il a été fort souffrant ; sa réclusion a été complète ; il n’a demandé absolument personne.


L’Empereur continue d’être souffrant – Pièce officielle remarquable adressée à sir Hudson Lowe.


Vendredi 23.

Le temps a continué d’être humide et pluvieux. Sur les trois heures et demie, l’Empereur m’a fait demander dans sa chambre : il faisait sa toilette ; il avait été fortement incommodé ; mais grâce à sa manière de se traiter, disait-il, grâce à son hermétique réclusion de la veille, c’était fini, il était bien.

J’ai osé lui témoigner ma véritable douleur ; j’avais inscrit, lui disais-je, un jour malheureux dans mon journal ; j’eusse dû le marquer à l’encre rouge. Et quand il a appris ce que c’était : « Comment, vraiment, a-t-il dit, c’est le seul jour depuis la France que vous ne m’ayez pas vu !… Et vous êtes le seul… » Et après quelques secondes de silence, il a ajouté avec un ton bien propre à me dédommager : « Mais, mon cher, si cela vous était d’un si grand prix, si vous y teniez tant, que n’êtes-vous venu frapper à ma porte ? Je ne suis point inabordable pour vous. »

Le docteur a été introduit ; il a dit que le gouverneur avait promis de ne plus mettre les pieds à Longwood. Un méchant qui était là a fait observer qu’il commençait à vouloir se rendre agréable.

L’Empereur a passé de là dans sa bibliothèque ; il s’est fait lire par mon fils une longue lettre que j’écrivais à Rome[1]. L’humidité l’a chassé, il a gagné le salon, la salle de billard ; arrivé au perron, il n’a pu résister au désir de marcher un peu. « Ce que je fais n’est pas sage, » a-t-il

  1. C’est ma lettre au prince Lucien, si fameuse depuis dans l’histoire de mes persécutions, et qu’on trouvera plus bas en son lieu.