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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/203

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de fautes, deviendra grand s’il veut seulement ne pas les continuer. Tout son génie peut se borner uniquement à laisser faire, à obéir aux vents qui soufflent ; au rebours de Castlereagh, il n’a qu’à se mettre à la tête des idées libérales au lieu de se liguer avec le pouvoir absolu, et il recueillera les bénédictions universelles, et tous les torts de l’Angleterre seront oubliés. Cet acte était à la portée de Fox ; Pitt ne l’eût pas entrepris : c’est que chez Fox le cœur échauffait le génie, au lieu que chez Pitt le génie desséchait le cœur. Mais j’entends un grand nombre me demander comment moi, tout-puissant, je n’ai point agi de la sorte ? comment, parlant si bien, j’ai pu agir mal ? Je réponds à ceux qui sont de si bonne foi que rien ici ne saurait se comparer. L’Angleterre peut opérer sur un terrain dont les fondements descendent aux entrailles de la terre ; le mien ne reposait encore que sur du sable. L’Angleterre règne sur des choses établies ; moi j’avais la grande charge, l’immense difficulté de les établir. J’épurais une révolution en dépit des factions déçues. J’avais bien réuni en faisceaux tout le bien épars qu’on devait en conserver ; mais j’étais obligé de les couvrir de mes bras nerveux pour les sauver des attaques de tous : et c’est dans cette attitude que je répète encore que véritablement la chose publique, l’État, c’était moi.

Le dehors en armes fondait sur nos principes, et c’est précisément en leur nom que le dedans m’attaquait en sens opposé. Or, pour peu que je me fusse relâché, on m’eût bientôt ramené au temps du Directoire ; j’eusse été l’objet et la France l’infaillible victime d’un contre-brumaire. Nous sommes de notre nature si inquiets, si faiseurs, si bavards !… Qu’il arrive vingt révolutions, et nous aurons aussitôt vingt constitutions ! C’est ce dont on s’occupe le plus, ce qu’on observe le moins. Ah ! que nous avons besoin de grandir dans cette belle et glorieuse route ! Nos grands hommes en ce genre se sont montrés si petits ! Fasse le ciel que la jeunesse d’aujourd’hui profite de tant de fautes, et qu’elle se montre aussi sage qu’elle sera ardente !!! etc. »

Aujourd’hui le gouverneur a commencé ses grandes réductions. Il a fallu nous séparer de huit domestiques anglais qu’on nous avait donnés. C’était pour eux une vive douleur, et c’est pour nous un sentiment doux de voir que tous ceux qui nous approchent s’attachent à nous et nous regrettent. Nous manquons réellement du nécessaire journalier : pour y pourvoir, l’Empereur va faire vendre son argenterie ; c’est sa seule ressource.

L’Empereur, ne pouvant s’endormir, m’a envoyé chercher vers