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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/204

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minuit. Le hasard ou l’instinct avait fait que je ne m’étais pas encore couché. Je suis resté à causer avec lui jusqu’à deux heures…


Cour de l’Empereur – Présentation des femmes, etc. – Sur l’âge des femmes – Manuscrit de l’Île d’Elbe.


Dimanche 8.

L’Empereur m’a fait demander d’assez bonne heure ; il achevait sa toilette. Il n’avait point dormi de la nuit ; il se trouvait fort fatigué. Le temps était devenu supportable ; il a demandé son déjeuner sous la tente. Pendant qu’on le disposait, il a fait quelques tours de jardin, et est revenu sur la conversation de la nuit derrière avec moi…

Au déjeuner, il a fait appeler madame de Montholon, et de là nous sommes montés dans la calèche, dont l’Empereur n’avait pas fait usage depuis longtemps. Il y avait plusieurs jours qu’il avait à peine respiré l’air du dehors.

La conversation a été encore une fois sur la cour de l’Empereur aux Tuileries, la foule nombreuse qui la composait, l’adresse et l’esprit avec lesquels l’Empereur la passait en revue, etc. Je supprime beaucoup de choses, pour ne les pas répéter. « C’est encore plus difficile qu’on ne pense, disait-il, que de parler à une foule de personnes, et de ne leur rien dire ; que de connaître une multitude de monde, dont les neuf dixièmes vous sont inconnus, etc. »

Plus tard, il faisait observer combien, après tout, il était tout à la fois aisé et difficile de l’approcher, d’avoir affaire à lui, de s’en faire juger ; combien il tenait à peu avec lui de faire sa fortune ou de la manquer, « À présent que je suis hors de la question, disait-il, que me voilà simple particulier, que je réfléchis en philosophe sur ce temps où j’avais à faire les œuvres de la Providence, sans néanmoins cesser d’être homme, je vois combien réellement le hasard entrait dans les destinées de ceux que je gouvernais ; combien la faveur, le crédit, pouvaient être accidentels. L’intrigue est parfois si adroite, le mérite si gauche, ces extrêmes se touchent de si près, que mon atmosphère, avec la meilleure volonté du monde, devait être encore une véritable loterie. Et pouvais-je faire mieux ? Péchais-je par mes intentions, mes efforts ? D’autres ont-ils mieux fait ? C’est surtout par là qu’il faut me juger. Le vice est donc dans la nature du poste, dans la force des choses. »

De là on a parlé de la présentation des femmes à la cour, de leur embarras, de leurs secrètes dispositions, des vues, des espérances de quelques-unes. Madame de Montholon a dévoilé le secret de certaines de sa connaissance ; d’où il résultait que si, dans divers salons de Paris, on se