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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/212

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la justice étant un inséparable attribut de l’autorité souveraine ; de supprimer les droits féodaux comme un reste de l’ancien esclavage du peuple ; de soumettre également tous les citoyens et toutes les propriétés, sans distinction, aux charges de l’État. Enfin elle proclama l’égalité des droits. Tous les citoyens purent parvenir à tous les emplois, selon leurs talents et les chances de la fortune. Le royaume était composé de provinces qui avaient été réunies à la couronne plus ou moins tard : elles n’avaient entre elles aucunes limites naturelles ; elles étaient différemment divisées, inégales en étendue et en population : elles avaient un grand nombre de coutumes ou lois particulières pour le civil comme pour le criminel, étaient plus ou moins privilégiées, très inégalement imposées, soit par la quotité, soit par la nature des impositions, ce qui obligeait à les isoler les unes des autres par des lignes de douane. La France n’était pas un État ; c’était la réunion de plusieurs États placés à côté les uns des autres sans amalgame. Les évènements des siècles passés, le hasard, avaient déterminé le tout. La révolution, guidée par le principe de l’égalité, soit entre les citoyens, soit entre les diverses parties du territoire, détruisit toutes ces petites nations, et en forma une nouvelle : il n’y eut plus de Bretagne, de Normandie, de Bourgogne, de Champagne, de Provence, de Lorraine, etc. ; il y eut une France. Une division de territoire homogène, prescrite par les circonstances locales, confondit les limites de toutes les provinces : même organisation judiciaire, même organisation administrative, mêmes lois civiles, mêmes lois criminelles, même organisation d’impositions : le rêve des gens de bien de tous les siècles se trouva réalisé. L’opposition que la cour, le clergé, la noblesse mirent à la marche de la révolution, et la guerre des puissances étrangères, amenèrent la loi de l’émigration, le séquestre des biens des émigrés, que, par la suite, on dut vendre pour subvenir aux besoins de la guerre. Une grande partie de la noblesse française se rangea sous la bannière des princes de la maison de Bourbon, et forma une armée qui marcha à côté des armées autrichiennes, prussiennes et anglaises ; des gentilshommes, élevés dans l’aisance, servirent comme simples soldats : la fatigue et le feu en firent périr un grand nombre ; beaucoup périrent de misère dans l’étranger ; la guerre de la Vendée, celle de la chouannerie, les tribunaux révolutionnaires, en moissonnèrent des milliers. Les trois quarts de la noblesse française furent ainsi détruits : toutes les places civiles, judiciaires ou militaires, furent occupées par des citoyens sortis du sein du peuple. Le bouleversement que produisirent dans les personnes et les propriétés les évènements de la révolution