Aller au contenu

Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/226

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

savaient pas me comprendre ou ne le voulaient pas ; j’avais beau me fâcher, vouloir, ordonner, le tout rien continuait pas moins ; c’est que je ne pouvais être partout et toujours : ils le savaient bien, et pourtant j’ai passé pour avoir une main de fer. Que doit-ce donc être avec les débonnaires ? etc., etc. »


Petitesse de son lit – Le tic revenu – Gardes de l’Aigle – Le coucou.


Mercredi 11.

L’Empereur a continué de souffrir. Je l’ai trouvé fort abattu, et faisant changer son lit de place. Ce lit, si longtemps le fidèle compagnon de ses victoires, n’était plus aujourd’hui que son grabat de douleur. L’Empereur, dans sa souffrance, se plaignait qu’il fût trop petit pour sa personne ; il trouvait à peine à s’y remuer, mais l’espace de sa chambre rien comportait pas de plus grand. Il l’a fait porter dans son cabinet, à côté d’un petit lit de repos ou canapé, de manière à ce que, assujettis ensemble, ils lui composassent un lit plus spacieux. Voilà pourtant à quoi il en est réduit !!!… L’Empereur, revenu sur son canapé, s’est mis à causer. Parlant de son avènement au consulat, et de l’effroyable désordre qu’il avait rencontré dans toutes les branches du service public, il disait qu’il avait été tenu à de nombreuses épurations immédiates qui avaient beaucoup fait crier, mais qui pourtant n’avaient pas peu contribué à resserrer tous les liens sociaux. Cette épuration s’était étendue jusqu’à l’armée, parmi les officiers, les généraux mêmes, dont plusieurs l’étaient devenus Dieu sait par qui, disait-il, et Dieu sait comment. À ce sujet, je me suis permis de lui citer une anecdote de ce temps, qui avait fort amusé le cercle où je passais ma vie. Un de nous, et malveillant ainsi que je l’étais alors moi-même, s’était trouvé dans une de ces petites voitures de Versailles avec un soldat de la garde, et l’avait malicieusement excité à parler. Ce soldat était mécontent, et disait que tout se gâtait ; qu’on exigeait à présent qu’on sût lire et écrire pour pouvoir avancer. Et voilà déjà le tic revenu, disait-il ; il appelait cela le tic. Le mot nous plut et resta dans notre société. « Eh bien ! disait l’Empereur, qu’aura dit votre soldat lorsque j’ai créé les gardes de l’Aigle ? ils m’auront sans doute réhabilité dans son esprit. J’avais établi, a-t-il ajouté, deux sous-officiers, gardes spéciaux de l’Aigle dans les régiments, placés à droite et à gauche du drapeau ; et, pour éviter que l’ardeur dans la mêlée ne les détournât de leur unique objet, le sabre et l’épée leur étaient interdits ; ils n’avaient d’autre arme que