Aller au contenu

Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/235

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

duisait l’Empereur lui proposa d’aborder ce brick et de l’enlever. L’Empereur repoussa cette idée comme absurde : elle ne pouvait être raisonnable que si on y eût été forcé par la nécessité. « Autrement, à quoi bon, disait-il, compliquer mon dessein de ce nouvel incident ? De quelle utilité eût pu m’être le succès ? À quoi ne m’exposait pas le plus léger contretemps ? »

Et que ne peuvent la bizarrerie et les rapprochements du hasard ! J’ai eu la preuve, depuis, que le brick sur lequel était l’Empereur et celui avec lequel on parlementa étaient jumeaux, et avaient été construits précisément avec des bois donnés à l’État par Napoléon, qui les tenait d’un héritage en Toscane, celui sans doute du vieil abbé son parent, dont il a été question ailleurs.

Lors de l’échec qu’on éprouva en débarquant par la capture d’une vingtaine d’hommes qu’on avait envoyés sommer Antibes, diverses opinions s’élevèrent à cet égard, et même avec assez de chaleur : les uns voulaient qu’on se portât aussitôt sur Antibes pour l’enlever de force, et prévenir par là le mauvais effet que pouvaient produire la résistance de cette place et l’emprisonnement des 20 hommes. L’Empereur répondait que la prise d’Antibes ne faisait rien à la conquête de la France ; que le peu de temps qu’il y perdrait suffirait pour réveiller partout et créer des obstacles sur la seule, la véritable route ; que les moments étaient précieux, qu’il fallait voler ; qu’on remédierait au mauvais effet de l’évènement d’Antibes, en marchant plus vite que la nouvelle. Un officier de la garde ayant fait sentir indirectement qu’il n’était pas bien d’abandonner ainsi ces 20 hommes, l’Empereur se contenta de dire qu’il jugeait bien mal de l’étendue de l’entreprise ; que si la moitié d’eux se trouvait dans le même cas, il les laisserait de même ; que s’ils y étaient tous, il continuerait de marcher seul[1].

Il avait débarqué au golfe Juan quelques heures avant la nuit, et y avait établi son bivouac. On lui amena bientôt après un postillon en belle livrée. Il se trouva qu’il avait fait partie de sa maison ; il avait appartenu à l’impératrice Joséphine, et servait en ce moment le prince de Monaco, qui lui-même avait été écuyer de l’impératrice Joséphine. Ce postillon, questionné par l’Empereur, lui disait, dans son grand étonnement de le trouver là, qu’il arrivait de Paris, qu’il pouvait lui

  1. Ce n’est pourtant pas qu’il négligeât de s’occuper de ces hommes, car un moment il chargea le commissaire des guerres, M. Ch. Vauthier, qui se trouvait près de lui de courir en toute hâte sous les murs d’Antibes, et de délivrer les prisonniers, en essayant d’enlever la garnison, lui répétant à diverses reprises, lorsqu’il s’éloignait déjà : « Mais surtout n’allez pas vous faire bloquer aussi. »