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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/266

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La diversité des objets a conduit la conversation sur la Hollande et le roi Louis, sur lesquels il a dit des choses très remarquables.

« Louis a de l’esprit, disait l’Empereur, n’est point méchant ; mais, avec ces qualités, un homme peut faire bien des sottises et causer bien du mal. L’esprit de Louis est naturellement porté au travers et à la bizarrerie. Il a été gâté encore par la lecture de Jean-Jacques. Courant après une réputation de sensibilité et de bienfaisance, incapable par lui-même de grandes vues, susceptible tout au plus de détails locaux, Louis ne s’est montré qu’un roi préfet.

« Dès son arrivée en Hollande, et n’imaginant rien de beau comme de faire dire qu’il n’était plus qu’un bon Hollandais, il s’y est livré tout à fait au parti anglais, a favorisé la contrebande, et s’est mis en rapport avec nos ennemis. Il a fallu le surveiller aussitôt, et menacer même de le combattre ; réfugiant alors son manque de caractère dans un entêtement obstiné, et prenant un esclandre pour de la gloire, il s’est enfui du trône en déclamant contre moi, contre mon insatiable ambition, mon intolérable tyrannie, etc. Que me restait-il à faire ? Fallait-il laisser la Hollande à la disposition de nos ennemis ? Fallait-il nommer un nouveau roi ? Mais devais-je attendre de lui plus que de mon frère ? Tous ceux que je faisais n’agissaient-ils pas à peu près de même ? Je réunis la Hollande, et toutefois cet acte eut le plus mauvais effet en Europe, et n’a pas peu contribué à préparer nos malheurs.

« Louis avait été charmé de prendre Lucien pour modèle. Lucien en avait agi à peu près de même ; et si plus tard il s’est repenti, s’il s’est rallié même noblement, cela a pu honorer son caractère, mais non raccommoder les affaires.

« À mon retour de l’île d’Elbe, en 1815, Louis m’écrivit une longue lettre de Rome, et m’envoya une ambassade : c’était son traité, disait-il, ses conditions pour revenir auprès de moi. Je répondis que je n’étais nullement dans le cas de faire des traités avec lui ; que s’il revenait, il était mon frère, il serait bien reçu.

« Croirait-on bien qu’une de ses conditions était qu’il aurait la liberté de divorcer avec Hortense ? Je maltraitai fort le négociateur, pour avoir osé se charger d’une telle absurdité, avoir pu croire qu’une pareille chose fût négociable. Nos statuts de famille le défendaient formellement, faisais-je rappeler à Louis ; la politique, la morale et l’opinion ne s’y opposaient pas moins encore, lui faisais-je dire ; l’assurant de plus qu’à cause de tous ces titres réunis, si ses enfants