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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/291

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tient à merveille, désormais, tous les rapports et les nombreuses corrélations. Il l’a refermé, disant : « Quel enchaînement ! comme tout se suit et s’appuie ! comme tout se débrouille, se grave dans l’esprit ! Mon cher, quand vous n’auriez fait que montrer la véritable manière d’apprendre, vous auriez rendu un grand service. Libre à chacun désormais d’habiller votre squelette à sa façon ; on le perfectionnera sans doute encore, mais l’idée mère vous demeurera, etc. »

Dans divers sujets de conversations qui ont suivi, le fatalisme s’est trouvé mentionné, et l’Empereur a dit à cet égard des choses curieuses et remarquables, entre autres : « Ne me fait-on pas passer pour imbu du fatalisme ? m’a-t-il demandé. Mais oui, Sire, du moins parmi beaucoup de gens. – Eh bien !… eh bien ! il faut laisser dire ; aussi bien on peut vouloir imiter, et cela peut avoir parfois son utilité… Ce que sont les hommes pourtant !… On est plus sûr de les occuper, de les frapper davantage par des absurdités que par des idées justes ; mais un homme de bon sens peut-il bien s’y arrêter un instant ? Ou le fatalisme admet le libre arbitre, ou il le repousse. S’il l’admet, qu’est-ce qu’un résultat déjà fixé d’avance, vous dit-on, et que pourtant la moindre détermination, un seul pas, une seule parole, vont faire varier à l’infini ? Si le fatalisme, au contraire, n’admet pas le libre arbitre, c’est bien autre chose ; alors, quand vous venez au monde, il n’y a plus qu’à vous jeter dans votre berceau sans vous donner aucun soin : s’il est irrévocablement fixé que vous vivrez, bien qu’on ne vous donne à boire ni à manger, vous grandirez toujours. Vous voyez bien que ce n’est pas une doctrine soutenable, ce n’est qu’un mot. Les Turcs eux-mêmes, ces patrons du fatalisme, n’en sont pas persuadés ; autrement, il n’y aurait plus de médecine chez eux, et celui qui occupe un troisième étage ne se donnerait pas la peine de descendre longuement les escaliers, il descendrait tout de suite par la fenêtre, et vous voyez à quelle foule d’absurdités cela conduit, etc. »

Sur les trois heures, on est venu dire à l’Empereur que le gouverneur désirait lui communiquer des instructions qu’il venait de recevoir de Londres. L’Empereur a fait répondre qu’il était malade, qu’on pouvait les lui faire parvenir ou les communiquer à quelqu’un des siens ; mais le gouverneur insistait, disant qu’il voulait lui en faire part directement. Il avait aussi, disait-il, à nous entretenir en particulier après avoir parlé au général. L’Empereur ayant refusé de nouveau de le recevoir, il s’est retiré en disant qu’on voulût bien lui faire connaître quand