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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/301

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Crescentini ? s’écriait-il. Sur quoi la belle madame Grassini, se levant majestueusement de son siège, lui répliqua du geste et du ton le plus théâtral : Et sa blessoure donc, Monsieur, pourquoi la comptez-vous ? Ce fut alors un tel brouhaha de joie, d’applaudissements, que la pauvre madame Grassini se trouva fort embarrassée de son succès. »

L’Empereur, qui entendait cette anecdote pour la première fois, en a beaucoup ri ; il y est revenu souvent depuis, et l’a parfois racontée à son tour.

À dîner, l’Empereur nous disait qu’il avait travaillé douze heures ; et nous faisions remarquer que sa journée n’était point encore finie : cependant il avait l’air souffrant et se montrait très fatigué.


Combat d’Ulysse et d’Irus – Noverraz serait notre roi, etc..


Mardi 8.

En entrant aujourd’hui chez l’Empereur, je l’ai trouvé occupé à lire les journaux des Débats, dernièrement arrivés.

Le temps était supportable ; nous avons marché vers le fond du bois, où la calèche devait venir nous prendre.

Je me trouvais une somme disponible à Londres, je l’y avais apportée dans ma course de 1814. Les terribles souvenirs de mon émigration et les chances nouvelles m’avaient inspiré cette prudence ; j’en recueillais le fruit. J’étais, par cette circonstance, celui de nous tous à Sainte-Hélène qui se trouvait le plus à son aise ; et ce qui me rendait cette somme un vrai trésor, c’était le bonheur de pouvoir la déposer aux pieds de l’Empereur. Je la lui avais déjà offerte plusieurs fois. Je lui en réitérai encore l’offre en ce moment, en lui retraçant les outrages que le gouvernement venait de renouveler. Madame de Montholon, qui venait après nous, nous a rejoints précisément en cet instant. Elle faisait observer à l’Empereur qu’il marchait si vite qu’elle avait craint de le perdre ; mais que mes gesticulations lui avaient servi de point de vue, et qu’elle s’embarrassait fort d’en deviner la cause. Madame, lui a dit l’Empereur avec une grâce charmante, il s’agitait pour me faire accepter ses générosités ; il s’offrait de nous faire vivre. »

Nous sommes rentrés presque aussitôt, il faisait très humide, et l’Empereur se plaignait de ses dents. Depuis quelque temps, il a des fluxions presque continuelles. Après le dîner, il a repris l’Odyssée ; nous en étions au combat d’Irus contre Ulysse, sur le seuil de son propre palais, tous deux en mendiants.

L’Empereur désapprouvait fort cet épisode ; il le trouvait misérable, sale, inconvenant, indigne d’un roi. « Et puis, ajoutait-il, après avoir