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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/316

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Le général en chef nomma une commission spéciale pour en faire le dépouillement, et l’on demeura fort étonné des mystères qu’ils découvrirent : on y trouva, entre autres, toutes les preuves de la trahison de Pichegru, qui avait sacrifié ses soldats pour faciliter les opérations de l’ennemi : le plus grand crime qu’un homme puisse commettre sur la terre, s’écriait avec indignation Napoléon, celui de faire égorger froidement les hommes dont la vie est confiée à votre discrétion et à votre honneur.

Le comte d’Entraigues, une fois ses secrets découverts, s’exprima avec tant de franchise et d’adresse, que Napoléon, croyant l’avoir gagné, ou plutôt se laissant gagner lui-même, le traita avec la dernière indulgence, le défendit contre le Directoire qui insistait pour le faire fusiller, et le laissa libre sur parole dans Milan. Quelles ne furent pas sa surprise et son indignation d’apprendre un matin que M. d’Entraigues venait de s’évader en Suisse, et publiait un libelle infâme contre lui, lui reprochant les mauvais traitements qu’il en avait reçus, se plaignant d’en avoir été mis aux fers ! Cette imposture causa un tel scandale, que plusieurs diplomates étrangers, qui avaient été témoins du contraire, le témoignèrent spontanément dans une déclaration publique.

Ce comte d’Entraigues, aussi tard que 1814, je crois, est mort en Angleterre d’une manière affreuse, assassiné par son valet de chambre, à la vue de sa femme, la célèbre chanteuse Saint-Huberti.

Pichegru se trouvait précisément alors à la tête du Corps Législatif, et à peu près en guerre ouverte avec le Directoire. On juge de quel prix furent pour celui-ci des pièces aussi graves et aussi authentiques contre ses adversaires. Cette découverte influa beaucoup sur le parti que prit Napoléon dans les affaires de fructidor ; ce fut une des principales causes qui déterminèrent sa fameuse proclamation, laquelle amena le triomphe du Directoire.

Desaix qui servait sous Moreau dans l’armée du Rhin, ayant profité de l’armistice pour venir faire connaissance avec le général en chef de l’armée d’Italie, qui lui inspirait la plus vive admiration, se trouvait auprès de Napoléon à peu près vers le temps de cette grande circonstance. Napoléon lui ayant fait confidence de la trahison de Pichegru, Desaix répondit : « Mais nous le savions sur le Rhin il y a plus de trois mois. Un fourgon enlevé au général Klinglin nous a livré toute la correspondance de Pichegru avec les ennemis de la république. – Mais Moreau n’en a-t-il donc donné aucune connaissance au Directoire ? – Non. – Eh bien ! c’est un crime, s’écria Napoléon : quand il s’agit de la perte