Aller au contenu

Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/369

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je l’avais emporté. Le Directoire avait eu la sottise de se prêter à un arrangement qui nous était extrêmement préjudiciable et tout à fait à l’avantage des Anglais.

« Les Anglais nourrissaient leurs prisonniers en France, et nous avions la charge de nourrir les nôtres en Angleterre. Or nous avions assez peu d’Anglais chez nous, et ils tenaient beaucoup de Français chez eux. Les vivres étaient presque pour rien en France ; ils étaient d’un prix exorbitant en Angleterre. Les Anglais avaient donc fort peu de choses à payer, tandis que, de notre côté, nous devions envoyer des sommes énormes en pays ennemi, et nous étions fort pauvres. Ajoutez que tous ces détails exigeaient des agents croisés sur les lieux respectifs, et monsieur le commissaire anglais n’était autre chose que l’espion de nos affaires, l’entremetteur, le machinateur des complots de l’intérieur ourdis avec les émigrés du dehors. À peine eus-je pris connaissance d’un tel état de choses, que l’abus fut rayé d’un trait de plume. Il fut signifié au gouvernement anglais qu’à compter du moment, chaque nation nourrirait désormais les prisonniers qu’elle aurait faits, si mieux on n’aimait les échanger. On jeta les hauts cris, on menaça de les laisser mourir de faim. Je soupçonnais bien assez de dureté et d’égoïsme aux ministres anglais pour en avoir l’envie ; mais j’étais sûr que l’humanité de la nation s’en serait révoltée. On plia ; les malheureux Français n’en furent ni mieux ni plus mal, mais nous gagnâmes de grands avantages, et échappâmes à un arrangement qui était une espèce de joug et de tribut.

« Durant toute la guerre, je n’ai cessé d’offrir l’échange des prisonniers ; mais le gouvernement anglais, jugeant qu’il m’eût été avantageux, s’y est constamment refusé sous un prétexte ou sous un autre. Je n’ai rien à dire à cela ; la politique à la guerre marche avant le sentiment. Mais pourquoi se montrer barbare sans nécessité ? et c’est ce qu’ils ont fait quand ils ont vu grossir le nombre de leurs prisonniers. Alors a commencé pour nos malheureux compatriotes cet affreux supplice des pontons, dont les anciens eussent enrichi leur enfer, si leur imagination eût pu les concevoir. Ce n’est pas que je ne croie qu’il y avait exagération de la part de ceux qui accusaient ; mais aussi il n’y a pas eu de vérité dans ceux qui se défendaient. Nous savons ce que c’est qu’un rapport au parlement : ici nous en sommes sûrs quand nous lisons les calomnies et les mensonges que débitent en plein parlement, avec une si froide intrépidité, ces méchants, qui n’ont pas rougi de se faire nos bourreaux. Les pontons portent avec eux leur vérité,