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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/401

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et par les formes mêmes qui devraient la défendre, et l’avenir paraît sans remède, ou menace des plus grands malheurs ! Quels plus funestes résultats eût donc pu produire le plan de M. Fox ? car les grandes altérations de la constitution anglaise sont en effet venues de l’Inde. Le poids que M. Fox voulait mettre du côté populaire eût-il donc pu être aussi désastreux pour la liberté que celui dont M. Pitt a surchargé la prérogative royale ?

Aussi, bien des gens prononcent hardiment aujourd’hui que M. Fox avait raison, qu’il était bien plus sage, et ne pouvait être aussi nuisible que son rival.

Aux noms de Pitt et de Fox, l’Empereur s’est arrêté longtemps sur leur caractère, leur système et leurs actes, et il a terminé en répétant ce qu’il a déjà dit plus d’une fois : « M. Pitt a été le maître de toute la politique européenne ; il a tenu dans ses mains le sort moral des peuples ; il en a mal usé ; il a incendié l’univers, et s’inscrira dans l’histoire à la manière d’Érostrate, parmi des flammes, des regrets et des larmes !… D’abord, les premières étincelles de notre révolution, puis toutes les résistances au vœu national, enfin tous les crimes horribles qui en furent la conséquence, sont son ouvrage. Cette conflagration universelle de vingt-cinq ans ; ces nombreuses coalitions qui l’ont entretenue ; le bouleversement, la dévastation de l’Europe ; les flots du sang des peuples qui en ont été la suite ; la dette effroyable de l’Angleterre, qui a payé toutes ces choses ; le système pestilentiel des emprunts, sous lequel les peuples demeurent courbés ; le malaise universel d’aujourd’hui, tout cela est de sa façon. La postérité le reconnaîtra ; elle le signalera comme un vrai fléau ; cet homme, tant vanté de son temps, ne sera plus un jour que le génie du mal ; non que je le tienne pour atroce, ni même que je doute qu’il ne fût convaincu qu’il faisait le bien : la Saint-Barthélémi a bien eu ses persuadés ; le pape et les cardinaux en ont chanté un Te Deum, et parmi toutes ces bonnes gens il s’en trouvait bien, sans doute, quelques-unes de bonne foi. Voilà les hommes, leur raison, leurs jugements ! Mais ce que la postérité reprochera surtout à M. Pitt, ce sera la hideuse école qu’il a laissée après lui ; le machiavélisme insolent de celle-ci, son immoralité profonde, son froid égoïsme, son mépris pour le sort des hommes ou la justice des choses.

« Quoi qu’il en soit, par admiration réelle ou pure reconnaissance, ou même encore simple instinct et seule sympathie, M. Pitt a été et demeure l’homme de l’aristocratie européenne ; c’est qu’en effet il y