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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/499

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qui aurait pu concerner la haute et importante partie de votre ministère. Aucun complot, aucun nœud, pas une seule idée relative à l’évasion de Napoléon. Vous n’avez pu en trouver aucune, parce qu’il n’en existait aucune. Nous la croyons impossible, nous n’y songeons pas ; et ce n’est pas que je veuille m’en défendre, j’y eusse volontiers donné les mains, si j’en eusse vu la possibilité. J’eusse volontiers payé de ma vie cette évasion, je serais mort martyr du dévouement ; c’eût été vivre à jamais dans les cœurs nobles et généreux. Mais, je le répète, personne ne le croit possible et n’y songe. L’empereur Napoléon en est encore à la même pensée, aux mêmes désirs qu’en abordant librement et de bonne foi le Bellérophon, d’aller chercher quelques jours tranquilles en Amérique, ou même en Angleterre, sous la protection des lois.

« Les choses une fois ainsi établies, je proteste de tout mon pouvoir, je m’oppose formellement à ce que vous lisiez désormais, je pourrais dire tous mes papiers secrets, mais je me borne seulement à ceux que j’appelle mon Journal. Je dois cette mesure à mon grand respect pour l’auguste personnage qui s’y retrouve sans cesse ; je la dois au respect de moi-même. Je demande donc de deux choses l’une : ou, si dans votre conscience vous croyez ces papiers étrangers à votre grand objet, qu’ils me soient rendus sur-le-champ ; ou si, d’après ce que vous en avez lu, vous pensez que certaines parties sont de nature à être mises sous les yeux de vos ministres, je demande que vous leur en envoyiez la totalité et me fassiez suivre avec eux. Il est trop question de vous, Monsieur, pour que votre délicatesse ne vous fasse une loi d’adopter l’un ou l’autre de ces partis. Vous ne sauriez chercher à profiter plus que je ne l’ai permis de cette occasion d’y lire ce qui regarde votre personne. Autrement, à quelles inductions ne vous exposerait pas un abus d’autorité, et comment empêcher qu’on ne liât cette circonstance au piège qui m’a été tendu, au grand bruit qu’on se trouvera avoir fait pour si peu de chose ?

« Arrivé en Angleterre avec ces papiers, je demanderai aux ministres, à leur tour, et j’appellerai le monde à témoin, de quelle utilité peut être aux yeux des lois un papier où se trouvent consignés, dans toute la négligence d’un mystère profond, jour par jour, la conversation, les paroles, peut-être jusqu’aux gestes de l’empereur Napoléon. Je leur demanderai surtout quelle inviolabilité de secret je n’ai pas droit d’exiger d’eux sur toutes les parties d’un recueil qui n’était encore que ma pensée brute, qui n’existe pas, à bien dire, qui ne présente que