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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/505

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raconté, dans la conversation, qu’il avait longtemps fait partie des prisonniers confinés à Verdun ; mais qu’il avait enfin obtenu d’en sortir pour venir à Paris. Et ce que peut amener le hasard ! quand il a nommé son intermédiaire de Paris, il s’est trouvé que c’était précisément moi qui avais obtenu du duc de Feltre cette faveur alors très difficile.

Toujours même uniformité dans notre situation ici, pas l’apparence d’un dénouement ; voilà près de quinze jours depuis notre malheureuse aventure ; et toujours même réclusion, même interdiction, même supplice.

Nous recevions à peine, et seulement par le gouverneur lui-même, des nouvelles de l’Empereur. Nous nous trouvions, ainsi que je l’ai déjà dit, précisément en face de Longwood et à peu de distance, mais séparés par des abîmes ; à quelque heure que nous levassions les yeux, nous avions devant nous cet objet de nos pensées et de nos vœux, et nous le recherchions sans cesse ; nous pouvions en suivre toutes les habitudes qui nous étaient si familières ; nous en apercevions tous les édifices, mais il nous était impossible de distinguer aucun des objets animés. Cette perpétuelle attraction perpétuellement combattue, ce voisinage et pourtant cette grande distance, cet objet désiré sans cesse offert et comme sans cesse retiré ; il y avait dans tout cela quelque chose, disais-je, de l’enfer des anciens. Sir Hudson Lowe en convenait, et avait promis, dès le premier jour, de nous en retirer bientôt ; nous n’étions placés en cet endroit que provisoirement, avait-il dit, et jusqu’à ce qu’on eût préparé ailleurs quelque chose de plus convenable dont on s’occupait déjà ; mais des semaines étaient écoulées, et rien ne venait. Sir Hudson Lowe, qui est très prompt dans une décision malfaisante, est extrêmement lent à la faire cesser, si toutefois cela a lieu ; ce qui n’arriva pas en cette occasion.

Du reste, ce gouverneur, je dois le confesser, était avec moi, depuis qu’il me tenait entre ses mains, dans les rapports de la politesse la plus attentive et des égards les plus recherchés. Je l’ai vu déplacer lui-même, de sa propre personne, une sentinelle qui eût pu blesser mes regards, disait-il, et l’aller poser derrière des arbres, pour que je ne l’aperçusse plus. Toutes ses dispositions à mon égard, ses intentions réelles, m’assurait-il, étaient des plus bienveillantes ; son langage était propre à m’en convaincre ; et plus d’une fois j’ai été à douter de la justice de l’opinion que nous nous en étions faite jusque-là ; mais il m’a fallu toujours finir par conclure que chez sir Hudson Lowe les actes différaient étrangement des paroles : il parlait d’une manière et agissait de l’autre. Je lis,