Aller au contenu

Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/780

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

naturelle, de médecine, de guerre, de politique, de tout ce qui s’offrait aux observations ou aux souvenirs de l’Empereur. Mais la conversation amenait-elle quelque trait, quelque circonstance qui lui rappelai l’impératrice ou son fils, il s’interrompait aussitôt et ne s’occupait plus que des qualités de l’une et de la destinée de l’autre. « Quel abandon ! quels malheurs ! » Mais il avait son nom, il aurait son courage, il ne s’en laisserait pas déshériter. Et passant brusquement à Marie-Louise, comme s’il eût craint de mesurer l’avenir de cet enfant, il se répandait en éloges sur sa bonté, sa douceur, l’inaltérable tendresse qu’elle avait pour lui ; il la payait de retour, et cette affection peut-être avait causé sa perte. S’il l’avait moins aimée, il n’aurait pas écrit la lettre fatale qui tomba dans les mains des alliés. Il eût probablement été suivi, vainqueur, et la France eût été sauvée. Le sort en décida autrement, il abdiqua, l’impératrice dut se retirer à Vienne. La santé de cette princesse se dérangea ; les médecins lui conseillèrent les eaux. Marie-Louise était accompagnée de madame de Brignolles, de Corvisart, d’Isabey ; Talma avait apparu, la conspiration était patente, le trône en danger ; il fallait tout mettre en œuvre pour déjouer la trame. Il écrivait, priait, dénonçait ; autorité civile et militaire, il stimulait tout. Il demandait à l’un ses espions, à l’autre ses gendarmes ; l’impératrice ne faisait pas un pas qui ne fût pour lui un sujet d’angoisses. Elle vivait cependant de la manière la plus simple ; elle se promenait, courait, se mêlait à la foule, et ne s’occupait que de sites, de points de vue qu’elle gravissait avec la légèreté qui lui est naturelle ; mais elle écoutait des vers qui rappelaient ce que nous avions fait ; elle chérissait le nom de son époux, elle adorait son fils. Fouché, le duc de Castiglione n’en dormaient pas. Une circonstance ajoutait à leurs alarmes : elle avait accueilli quelques-uns de nos soldats, rassemblé douze à quinze cents hommes ; elle allait conquérir la France. Lacronier accourut au-devant de cet affreux malheur. Il avait des troupes, une ordonnance ; il voulait fermer Saint-Jeoire aux courriers autrichiens. Mais Neiperg se fâcha, menaça ; le gendarme n’osa passer outre, et Fouché resta en proie à ses anxiétés. Les hommes, les choses, tout lui portait ombrage ; il se désolait de voir que Marie-Louise continuait à se lier de cœur aux intérêts de Napoléon. Pour surcroît d’angoisses, le départ de l’impératrice, qui était fixé au 1er septembre, n’eut pas lieu. Ce retard inattendu faillit brouiller sa cervelle ; il ne rêva plus que désastres, que fuites, qu’insurrections. Le délai partait de l’île d’Elbe ; la chose était claire, on n’en pouvait douter. Le pauvre Augereau, travaillé de tous côtés par la peur, finit par céder à