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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/781

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un sentiment qu’il n’avait jamais connu. Il est vrai qu’il était vieilli ; mais la circonstance lui aurait dû rendre l’activité de sa jeunesse : espions, dépêches, il avait temps pour tout.

17. — La santé de l’Empereur se soutenait depuis plus d’un mois. Les forces étaient revenues ; les fonctions digestives avaient repris ; tout semblait au mieux lorsque le mal se réveilla avec plus d’intensité. De violentes coliques se font sentir, la douleur au foie devient insupportable.

18. — Les tranchées perdent un peu de leur violence, sans cesser pourtant ni laisser un instant de repos au malade. Une toux sèche se manifeste.

21. — L’Empereur se trouve beaucoup mieux ; il fait quelques tours de promenade, rentre et prend un bain.

J’avais été faire une course dans le parc, et rentrais comme l’Empereur sortait du bain. « Je croyais, me dit ce prince, que vous traitiez les médecins anglais. Est-ce qu’ils n’ont pas été exacts au rendez-vous ? — Non, Sire, ils ont paru isolément sensibles à l’invitation ; ils l’ont acceptée avec reconnaissance, mais ils se sont ravisés tout à coup et se sont dégagés. J’ignore si la main qui les a retenus n’est pas celle qui vient de me faire arrêter. — Arrêter ! — Oui, Sire. Je gagnais paisiblement ma hutte, le factionnaire m’a refusé le passage, j’ai été conduit au corps de garde : c’est ce qui m’a mis en retard. » L’Empereur laissa tomber la conversation ; je n’insistai pas et me retirai. — Je fus encore arrêté, insulté les jours suivants ; Napoléon ne voulut pas que je l’endurasse. « Écrivez à ce Calabrais : dites-lui tout le mépris que sa basse méchanceté vous inspire, que vous vous retirerez s’il persiste. Je ne veux pas qu’on vous refuse de l’air, qu’on vous fasse périr sous mes yeux. » — J’étais indigné, ma lettre fut bientôt faite.

« Adressez-vous aussi à Hamilton, me dit l’Empereur ; ce ministre a donné des éloges à vos travaux ; il vous porte de l’intérêt, il n’est pas possible qu’il souffre que le bourreau vous refuse la faculté d’al1er respirer un peu d’air sous un arbre sans feuillage. »

Je suivis le conseil et j’écrivis : je me plaignis ; je n’avais rien de mieux à faire. Lowe s’en souciait peu ; mais le ministre m’avait témoigné de l’intérêt, je recourais à lui, le cas devenait plus grave ; les limites furent éloignées, et je pus respirer, circuler à l’aise. Toutefois Hudson m’adressa son homélie ; j’avais sans cesse à la bouche le nom d’une qualité proscrite ; je ne parlais que de l’Empereur ; je voulais l’obliger à refuser mes lettres, le priver du plaisir de correspondre avec moi. Sa sollicitude était vraiment touchante.