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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/795

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verrez alors, vous verrez ces canaux, ces monuments dont je la couvris au temps de mon pouvoir Il n’a eu que la durée d’un éclair ; mais n’importe, il est plein, il regorge d'institutions utiles. — Immortelles, Sire ! Cherbourg, Turin, Anvers !… — J’ai mieux que cela, j’ai fait mieux ; j’ai consacré la révolution, je l’ai infusée dans nos lois. Mon code est l’ancre de salut qui sauvera la France, mon titre aux bénédictions de la postérité ; et puis, comme vous le disiez, les établissements, les fondations, Flessingue, Corfou, Ostende !… Les Alpes aplanies ! c’est là une entreprise dont le projet remonte à mon début. Je venais d’entrer en Italie, les communications avec Paris étaient longues, difficiles ; je cherchai à les rendre plus promptes ; je résolus de les ouvrir par la vallée du Rhône. Je voulais aussi rendre ce fleuve navigable, briser la roche sous laquelle il s’engouffre. J’avais envoyé des ingénieurs sur les lieux ; la dépense était modique ; je soumis le projet au Directoire ; mais les événements nous emportaient : je passai en Égypte, personne n’y pensa plus. Je le repris à mon retour ; j’avais renvoyé les avocats, je n’avais plus d’entraves : nous attachâmes nos marteaux sur les Alpes, nous exécutâmes ce que les Romains n’avaient osé tenter, nous assîmes au milieu des granits une route solide, spacieuse, à l’épreuve du temps. »

25. — L’Empereur, après avoir éprouvé une grande douleur à la région frontale, se trouve dans l’assoupissement ; il se plaint du fâcheux état de sa santé. « Est-il rien de plus déplorable que mon existence ? Ce n’est pas vivre… Ma santé ne se rétablira jamais… Je suis à bout, je le sens, et ne me fais pas illusion. »

26. — L’Empereur est plus mal qu’hier ; il est saisi d’une horripilation générale, accompagnée d’une soif ardente. Il boit de la limonade et se fait allumer un grand feu, devant lequel il cherche à se réchauffer. Ses forces sont tout à fait abattues : « Quel état est le mien, docteur ! Tout me pèse, me fatigue ; j’ai peine à me soutenir. Vous n’avez donc dans les ressources de l’art aucun moyen de ranimer le jeu de la machine ? » Je lui dis que la médecine en avait plusieurs. « Prompts, efficaces ? — Mais, Sire, le temps… — Ah ! oui, le temps. Vous amusez la douleur, et la mort la termine. »

31. — L’Empereur est encore plus mal qu’hier ; il a passé une nuit fort agitée.

1er novembre. — L’Empereur a passé une assez bonne nuit. L’estomac éprouve une distension un peu douloureuse par l’effet des gaz qui donnent lieu à de fréquents renvois insipides.