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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/796

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2. — 4 h. A. M. — Après un court sommeil, l’Empereur a été réveillé par une toux sèche, nerveuse, accompagnée de vomissement de matières aqueuses. Il prend quelques aliments légers.

3. — L’Empereur a passé une nuit assez tranquille.

5. — L’Empereur continue d’aller mieux, il cause, il rappelle les travaux qu’il a exécutés, les hommes qu’il a protégés en Italie. Il a ouvert des routes de Pavie à Padoue, de Padoue à Fusine, à Ponte-Longo, de Sarravalle à Bellune, à Cadore, et de Vicence à Novare. Il a creusé le port de Malomocco, desséché les vallées qui débouchent à Vérone, jeté des ponts sur l’Adige, contenu les inondations du Bacchiglione, élevé des digues, reconstruit des canaux, des aqueducs, et pourtant il n’était encore qu’au début de ce qu’il projetait pour l’Italie ; passant des choses qu’il a faites aux hommes qu’il a connus, il parle de Cesarotti dont il aimait la pompe et l’harmonie. Il l’avait aidé, secouru, comblé de biens ; nous fûmes battus ; nous devînmes odieux ; le poëte céda à l’exaspération commune et applaudit à nos revers. Cette ingratitude ne lui fit pas perdre la bienveillance de Napoléon. Un des premiers soins de ce prince, après l’incorporation de Venise, fut de le recommander à Eugène.

6. — La santé de l’Empereur continue à s’améliorer ; il passe au jardin. Il était faible, avait peine à se soutenir ; il s’assied au bout du vivier. C’était depuis quelques jours le terme de ses promenades ; il s’y établissait, y restait des heures entières, et s’amusait à suivre les mouvements des poissons. Il leur jetait du pain, étudiait leurs mœurs, et cherchait avec une véritable sollicitude les rapports qu’il y a entre eux et nous. Il nous les faisait remarquer, nous détaillait ses observations. Malheureusement ces petits animaux furent attaqués de vertiges ; ils se débattaient, flottaient sur l’eau, et périssaient l’un après l’autre. Napoléon en fut cruellement affecté. « Vous voyez bien, me dit-il, qu’il y a une fatalité sur moi. Tout ce que j’aime, tout ce qui m’attache, est aussitôt frappé : le ciel et les hommes se réunissent pour me poursuivre. » Dès lors, le temps ni la maladie ne purent le retenir, il alla chaque jour les visiter lui-même ; il me chargea de voir s’il n’y avait pas moyen de les secourir. Je ne savais d’où pouvait provenir cette mortalité singulière : j’examinai si elle ne tenait pas à l’eau ; mais l’examen tardait à l’Empereur, il m’appelait plusieurs fois le jour, et m’envoyait vérifier si d’autres avaient péri. J’allais, et j’avoue que j’éprouvais une satisfaction bien vive quand je pouvais lui annoncer que tous étaient vivants. Je vis enfin à quoi tenait l’accident qui affligeait Napoléon. Nous