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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/903

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sur un coussin une couronne voilée. Des cassolettes entretenues avec soin laissaient échapper incessamment la fumée de l’encens. Trente fanaux et des bougies supportées par des ifs d’argent éclairaient cette scène. Le silence le plus profond régna bientôt sur le pont, où l’on n’entendit plus que le pas mesuré et uniforme des factionnaires, le sifflement de la brise dans les cordages.

Le vendredi 16 fut fixé pour la cérémonie religieuse à bord. A sept heures, les vergues de la Favorite, de l’Oreste, des deux bâtiments de commerce la Bonne-Aimée, de Bordeaux, capitaine Gillet, et l’Indien, du Havre, capitaine Turketill, furent mises en pantenne, et aussitôt de nombreuses embarcations portèrent à la frégate tous les officiers présents et près de deux cents matelots des divers équipages. Le tambour rappela dans la batterie et sur le pont. M. Touchard assigna à chacun son poste : du grand mât au gaillard d’avant, huit cents hommes, téte nue, en ligue serrée ; du cabestan au grand mât, tous les états-majors en grande tenue, le consul de France avec les deux capitaines des bâtiments de commerce, leurs seconds et leurs passagers. M. le prince de Joinville était devant le cabestan, et avait à sa droite M. Hernoux, à sa gauche M. Chabot. Le catafalque était sur une estrade ; aux coins, MM. de la mission ; sur le même plan, les quatre anciens maîtres de la division ; un peu en arrière, les serviteurs de l’Empereur, formant la haie, soixante hommes en armes, commandés par les lieutenants de vaisseau Guillon et Pénaros ; au pied du mât d’artimon, l’autel, richement orné ; la musique était groupée sur la dunette. La frégate avait conservé ses pavois : au grand mât flottait le pavillon impérial. A dix heures, un coup de canon fut tiré ; les tambours roulèrent, et la musique commença la marche funèbre. L’abbé Coquereau s’avança alors, précédé de la croix et des flambeaux, jusqu’au pied de l’autel, où il célébra la messe des morts. De minute en minute, la Favorite et l’Oreste se renvoyaient le feu de leurs batteries. A l’élévation, au moment où le prêtre, recueilli en lui-même, s’adresse seul à Dieu, la voix de l’officier traversa le silence, et les soldats présentèrent les armes, les tambours battirent aux champs : mille hommes tombaient à genoux. Le ciel était magnifique ; la mer calme, étincelante de ses riches couleurs ; l’air parfumé d’encens, de mélodies. Les prières de l’absoute récitées, le prêtre répandit l’eau sainte ; le jeune prince l’imita, et tous les assistants, selon leur rang, vinrent accomplir la même cérémonie. Le cercueil fut ensuite descendu dans l’entre-ponts, où une chapelle ardente était préparée.