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Page:Lauris - L’Écrin du rubis, 1932.djvu/143

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L’ÉCRIN DU RUBIS

glace qui, sous mes pas, retournant sur moi la cloche de ma robe, me couchait aux pieds de mon image renversée, au centre de ce spectacle interdit, insoupçonné et vertigineux d’un corps de Femme développant verticalement à notre œil toute la plastique de sa marche et le symbolisme de ses lignes et de ses flexions parmi les méandres et les arabesques d’un écrin de fluidités ajourant aux divines cachettes les miroitements de la peau.

Rêve troublant s’il en fut, ensorcelante vision de nous surprise par en bas dont l’Idylle Vénitienne de M. Gabriel Soulages a retenu le délicieux émoi :

« Un instant, pour nouer son voile à sa tête blonde, écrit-il, elle est restée immobile, un genou ployé, le pied droit sur la dernière marche, le gauche dans la gondole. Au-dessous de sa jupe courte, le canaletto dormait, lisse et luisant comme un miroir. Maintenant je sais qu’elle est brune et qu’elle se teint les cheveux ».

Postée au pied du grand escalier dont la foule étincelante des travestis féminins faisait la plus merveilleuse échelle de Jacob que l’on pût voir, le visage collé à la marche qui était juste à sa hauteur, pour étancher la soif d’un rêve impossible je m’abreuvais de la féerie d’un horizon de clartés d’aube, d’évanescences crépusculaires, de champ de neige ou d’un éclatant midi, que, dans le double flot de la montée et de la descente, jupes courtes et jupes longues retroussées à pleines mains, déroulaient sur mes yeux.