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Page:Le Braz - Au pays des pardons, 1894.djvu/109

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AU PAYS DES PARDONS

cles. La plante de ses pieds nus s’aplatissait, collée au sol, et leurs ongles s’y enfonçaient, démesurés, tordus, pareils à des racines plusieurs fois centenaires. On racontait de lui qu’il vivait à la façon des arbres, des sucs de la terre et de l’air du ciel. On expliquait par là sa longévité. Jamais on ne lui avait vu prendre une autre nourriture. Les paysans d’alentour s’étaient même lassés de lui apporter en offrande des vases de lait et des quartiers d’agneau, parce qu’il laissait boire le lait aux oiseaux et dévorer les quartiers d’agneau par les loups. Il aimait d’un seul et immense amour toute la création, les hommes à l’égal des bêtes, et, parmi celles-ci, il ne distinguait pas les malfaisantes d’avec les bonnes. Chaque être, chaque chose représentait, selon lui, un élément d’ordre et de beauté dans l’univers de Dieu. Si vieux qu’il fût, son âme était demeurée limpide ; nulle expérience mauvaise n’y avait déposé son amertume. Il continuait à promener sur le monde le regard émerveillé d’un enfant. L’optimisme entêté de sa race s’épanouissait dans ses claires prunelles, aux orbites rondes et lisses comme ces trous que