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Page:Le Braz - Au pays des pardons, 1894.djvu/116

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RUMENGOL, LE PARDON DES CHANTEURS

ple pie aux profondeurs mouvantes, et l’orchestre de la tempête éclatait, formidable. À ses farouches amours la fée voulait un cadre terrifiant. Ses baisers distillaient une volupté si acre qu’on en mourait sur l’heure, comme d’un poison. La bouche où la sienne s’était collée s’en détachait soudain, flétrie, béante, muette à jamais. Il n’était pas de famille sur tout le littoral breton qui n’eût à lui reprocher le meurtre de quelqu’un de ses membres. On la nommait Mary Morgane ce qui veut dire née de la mer. Elle était une, et pourtant multiple. Nombreuses étaient ses incarnations

mais, c’était toujours la même âme de péché qui vivait en chacune d’elles.[1]

Ahès, brêman Mary Morgân…

Et voilà à quel métier de séduction et de mort Gralon avait voué sa fille pour l’éternité !… Le refrain lugubre ne cessa jusqu’au matin de retentir à ses oreilles, réveillant dans sa mémoire l’amertume des souvenirs, ajoutant à ses anciennes

  1. Il va sans dire que cette tradition, comme tant d’autres d’une origine non moins primitive, s’épanouit encore toute fraiche dans l’Armor breton.