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Page:Le Braz - Au pays des pardons, 1894.djvu/146

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RUMENGOL, LE PARDON DES CHANTEURS

distinctement les paroles ; à cause de cela peut-être, je trouve à ce chant, de plus en plus atténué et confus, un charme qui va croissant à mesure que, par l’effet de la distance, il se transfigure et, si je puis dire, s’idéalise. Il rythme à présent mon pas, il me berce l’âme, il m’incline de pieuses songeries. S’il venait à se taire, la poésie de ce beau soir m’en paraîtrait diminuée.

Les abris de grosse toile se font de plus en plus nombreux aux deux bords de la route : quelques-uns s’éclairent d’une petite chandelle de suif plantée dans un verre. Passé le ruisseau qui gazouille au fond du vallon, ils forment rue, sur la pente opposée. La brume des prairies les enveloppe, puis s’élève dans l’air en une procession d’êtres aériens traînant de longues mousselines. Sous les testes, des gens causent bruyamment, s’embrassent par-dessus les tables, échangent mille démonstrations d’amitié. D’aucuns se penchent, à deux et à trois, sur un réchaud de charbon pour y allumer leurs pipes minuscules et, quand un jet de flamme lèche leur visage, leur cuir rasé de frais, ils éclatent tous ensemble d’un large rire qui