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AU PAYS DES PARDONS

toute sa personne une noblesse qui imposait. J’observai que les pèlerins, en allant faire leurs libations à la source, lui témoignaient une vénération mêlée de crainte, comme s’il eût été, sinon le dieu, du moins le prêtre, gardien de la fontaine.

« — Qui est ce vieux pauvre ? » demandai-je à un passant.

« — Ni moi, ni d’autres ne saurions vous le dire. On l’appelle Pôtr he groc’hen gawr, l’homme à la peau de chèvre, à cause de cette fourrure à demi pelée que vous lui voyez sur le dos et qui lui donne un faux air de Jean le Baptiseur. On ne sait rien de plus sur son compte, et il est probable qu’on n’en saura jamais davantage, parce qu’il est — ou feint d’être — d’une surdité à déconcerter toutes les questions. Il y en a qui prétendent que c’est un saint, il y en a qui prétendent que c'est un sorcier ceux-ci se fondent sur ce qu’il excelle à débiter la messe en latin, aussi couramment qu’un évêque ; ceux-là, sur ce qu’on ne lui connaît aucun défaut, pas même de s’enivrer, comme font ses pareils, avec les sous qu’il ramasse. Il arrive régulièrement la veille du