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Page:Le Braz - Au pays des pardons, 1894.djvu/155

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AU PAYS DES PARDONS

exercice de la Tête-de-Turc. Il se faut ouvrir une trouée au milieu de tous ces gens qui stationnent, et ce n’est point chose aisée, car un Breton ne se dérange jamais de son propre mouvement ; il ne bouge que si on le houspille, surtout aux heures de flânerie, où il est de pierre ; on pourrait alors lui marcher dessus sans qu’il bronchât. À force de jouer des coudes, je finis par atteindre l’auberge qui m’a été recommandée. Elle est à l’extrémité du bourg, à deux pas de l’église ; ses étroites fenêtres de granit flamboient dans sa façade tassée et toute noire. Une pourpre d’incendie embrase le rez-de-chaussée et des étincelles courent, rapides, sur les solives du plafond, accrochant ça et là d’éphémères constellations. Dans l’âtre, la flamme s’épanouit en une immense gerbe rouge ; le ventre des marmites fait entendre des bruits sourds et précipités comme un galop de mer qui monte. Et, dans cette atmosphère de fournaise, une cinquantaine d’êtres humains empilés les uns sur les autres soupent d’un cœur content, sans même avoir l’idée d’emporter leur repas pour l’aller manger sur le talus du champ voisin, à la fraîcheur