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Page:Le Braz - Au pays des pardons, 1894.djvu/17

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XI
AVANT-PROPOS

le seuil franchi, un luxe d’ex-voto naïfs appendus aux murailles. Les saints qu’on y vénère n’ont pas de spécialité : ils guérissent de tous maux. On s’adresse à eux en dernier ressort. Ils sont infaillibles et tout-puissants. Dieu n’agit que par leur voie et d’après leurs conseils. « S’ils disent oui, c’est oui ; s’ils disent non, c’est non. » Toute l’année ils ont des visiteurs, et les chemins qui conduisent à leur « maison » ne restent jamais déserts, par quelque temps que ce soit, « lors même qu’il gèlerait à faire éclater les os des morts ». Leurs pardons attirent une énorme affluence de peuple. À celui de Saint-Servais, dans un repli de la montagne d’Aré, sur la lisière de la forêt de Duault, on comptait naguère jusqu’à seize ou dix-sept mille pèlerins appartenant aux trois évêchés de Tréguier, de Quimper, de Vannes.

Servais, que les Bretons nomment Gelvest ou encore Gelvest le Petit (Gelvest ar Pihan), est invoqué comme le protecteur des jeunes semences. Il les garantit contre la rigueur des hivers et contre les gelées blanches des premières semaines de printemps. Son pardon a lieu le 13 mai. La veille, à la vêprée (gousper), se faisait la belliqueuse procession qui a immortalisé, dans les annales de nos paysans, ce pauvre sanctuaire de la Cornouaille des Monts. Des paroisses les plus lointaines on s’y transportait, les hommes à cheval, les femmes entassées dans de lourds chariots. Au lieu de la verge de saule écorcé, ordinaire et pacifique emblème des pèlerins, tous ces rudes laboureurs brandissaient — assujetti au poignet droit par un cordonnet de cuir — le penn-baz de houx ou de chêne, à tête ferrée, formidable comme une massue préhistorique. Je laisse ici la parole à