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Page:Le Braz - Au pays des pardons, 1894.djvu/183

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AU PAYS DES PARDONS

et le Café. Moi, j’ai pris à gauche. Voici le porche du cimetière dessinant son grand arc sombre et, à côté, un if immense, un arbre aussi vieux que les temps, l’arbre des morts, sorte de baobab funèbre engraissé de la pourriture humaine de plusieurs siècles. Un tronc bizarre, tourmenté, tordu en spirale, les racines crevant le mur, les branches poussées dans une seule direction et très bas, presque au ras des tombes. Il couvre de son ombre le pauvre enclos, y verse sa tristesse lourde, si dense, étalée en une flaque noire et sans rides. Une allée plantée de croix conduit au porche de l’église : il règne dans ce caveau une obscurité compacte ; des bruits de respirations endormies rythment le silence. À la mince lueur qui filtre par instants, lorsque viennent à s’entrebailler les battants de la nef, on distingue des formes d’hommes, de femmes, vautrés pêle-mêle sur les bancs de pierre, au long des parois. Un mendiant étendu la tête sur son bissac ; avec son bâton de route entre les jambes et un barbet à ses pieds, a l’air sculptural d’un évêque de granit couché dans un enfeu, les mains jointes