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Page:Le Braz - Au pays des pardons, 1894.djvu/185

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AU PAYS DES PARDONS

ainsi qu’un frisselis de feuilles aux souffles irréguliers du vent. Prière exhalée comme en rêve par un millier de lèvres assoupies. Jusqu’au matin se continuera la veillée. Tous ces gens harassés ont fait vœu de passer la nuit dans le sanctuaire pour rien au monde ils ne quitteraient leur poste, pas même pour le meilleur des lits. La fatigue des traits, l’abandon des membres ajoutent encore à l’étrangeté du spectacle, font songer aux chœurs de suppliants des tragédies antiques. La comparaison n’est point aussi paradoxale qu’on le pourrait supposer. J’ai vu là des figures d’une admirable morbidesse, des types irréprochables de beauté austère et douloureuse. Telle, cette jeune fille qui a laissé rouler sa tête sur l’épaule de son frère ou de son fiancée ; elle dort d’un sommeil qui ressemble à une extase et, jusque dans l’affaissement de tout son être, elle garde un je ne sais quoi de souple, de svelte et d’harmonieux. Telle aussi, cette paysanne assise sur ses talons, face triste, vieillie avant l’âge, plissée par les soucis, polie, usée par les larmes ; elle égrène d’une main son chapelet, de l’autre elle soutient