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Page:Le Braz - Au pays des pardons, 1894.djvu/299

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AU PAYS DES PARDONS

crus m’être trompé, avoir pris la grange pour l’habitation, et je m’apprêtais à rebrousser chemin, quand vint se planter en face de moi, échappée je ne sais d’où, une fillette d’une douzaine d’années, figure hâve aux yeux verts et phosphorescents, qui, posant un doigt sur ses lèvres, me fit signe de ne point parler.

« — Mon père s’assoupit », murmura-t-elle ; « pour Dieu ! donnez-vous garde de le réveiller. »

Elle me montrait à l’autre bout de la pièce, un lit clos, le seul meuble à peu près valide qu’il y eût en ce pauvre intérieur. Une forme humaine y était couchée, dans une rigidité cadavérique ; un linge mouillé recouvrait le visage ; les mains, étendues à plat sur la couette de balle, étaient souillées de boue et de sang.

« — Qu’est-ce qu’il a donc, ton père ? »

« — Avant-hier, comme il revenait du marché, un peu soûl, je pense, la charrette lui a passé sur le corps. Depuis, il n’a cessé de geindre, jour et nuit, si ce n’est tout à l’heure quand je lui ai appliqué ce linge sur la face. C’est le premier repos que je lui vois prendre. »