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Page:Le Braz - Au pays des pardons, 1894.djvu/319

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AU PAYS DES PARDONS

À droite, une masse sombre, la silhouette d’une roulotte : une fille de bronze, accoudée entre les colonnes torses de la balustrade, regarde devant elle, dans le vague, cependant qu’un personnage difforme cloue au fronton de la voiture cette mirobolante affiche : Quéherno Michel, annonce la bonne aventure. Certain des pronostics. Garantit la guérison des verrues. La nuit est tiède, pacifique, baignée d’une molle clarté de lune qui semble filtrer par gouttes devers l’orient. On entend respirer les ondes. Un silence impressionnant a succédé à l’animation du jour. Le ciel se recourbe très haut, comme la voûte d’un temple infini, et l’on se prend à baisser la voix, en causant, de peur de manquer de respect à ce je ne sais quoi de divin qui rôde au fond de ce silence majestueux. Or, voici tout à coup qu’un chant s’élève, une lente et rauque rhapsodie, qu’on dirait hurlée à tue-tête par un chœur d’ivrognes :

Enn eskopti a Guerné, war vordik ar môr glaz…[1]

Ce sont les mendiants qui déguerpissent. Cor-

  1. En l’évêché de Cornouailles, sur le bord de la mer bleue.