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Page:Le Braz - Au pays des pardons, 1894.djvu/97

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AU PAYS DES PARDONS

n’en restait plus… Quelques cuillerées peut-être… J’étais furieux contre moi-même. Mais aussi, est-ce que je pouvais prévoir !… Les pauvres gens tournaient vers la cheminée des yeux ardents. Je me levai et je leur dis :

« — II ne faut point nous en vouloir : c’est la première fois que ceci nous arrive. Il faisait un temps si affreux que nous ne vous attendions pas. Je le regrette de tout mon cœur, mais nous n’avons pas préparé de soupe pour vous… »

« Une grande stupeur se peignit sur tous les visages, et il y eut un silence triste… Alors, un homme se détacha de la bande ; la buée qui s’élevait des hardes mouillées était si épaisse que je ne pus distinguer nettement ses traits. Il mit un pied sur la pierre de l’âtre, ôta le couvercle de la marmite, se pencha au-dessus, et prononça d’une voix ferme et douce :

« — Avec ce qui reste de bouillon, on peut toujours réconforter les plus malades. »

« Et, ayant dit, il se retira à l’écart. Sa parole nous en imposa. Ma femme se mit à tailler les crêpes dans les écuelles. Et les pauvres de défiler