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Page:Le Ménestrel - 1896 - n°30.pdf/2

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LE MÉNESTREL

portes du théâtre. Au fond, l’arrivée de deux ou trois arrondissements de Paris venant rendre visite à l’un des quartiers dont ils sont le plus éloignés est un événement qui n’est pas indifférent, puisque, sans parler du bruit, du mouvement et des scènes variées et inattendues que cette transfusion accidentelle d’un quartier dans un autre amène, il peut encore aider à faire répartir plus également l’activité et l’existence dans notre grande ville de Paris…

À en juger par l’empressement que les dilettantes ont mis à se procurer des loges et des stalles, et au mouvement que se sont donné les amateurs afin d’obtenir des billets pour l’ouverture, on peut dire que jusqu’ici le changement de quartier n’a produit aucun effet. Mardi dernier on a donné pour la première représentation de cette saison musicale Otello, opéra de Rossini, dans lequel ont reparu la plupart des virtuoses italiens que l’on entend avec tant de plaisir depuis plusieurs années. Mlle Grisi, ainsi que Rubini, Tamburini et Lablache, ont successivement obtenu, à mesure qu’ils sont entrés en scène, les félicitations et les applaudissements du public…

Il y a à peu près vingt-quatre ans que des acteurs italiens n’avaient chanté sur le théâtre de l’Odéon. Mardi dernier, lorsqu’ils y ont reparu, un assez petit nombre de ceux des amateurs qui ont assisté aux anciennes représentations a pu se trouver à cette dernière… Au nombre des spectateurs présents à l’ouverture de la saison de 1838, se trouvait Mme Grassini, qui tant de fois, sur la scène qu’elle regardait hier, nous a si vivement émus, il y a vingt ans, par le concours de sa voix et de son jeu, dans les Horaces de Cimarosa et dans le Roméo de Zingarelli[1]. »


Mais la question de l’Opéra-Comique et de la reconstruction de la salle Favart continuait de préoccuper, on pourrait dire de passionner la presse et le public, qui ne comprenait rien à l’inertie de l’administration et à un retard si préjudiciable à ses plaisirs. Ce retard avait réveillé les convoitises des propriétaires de Ventadour, enragés dans leur entêtement, et ceux-ci recommençaient à réclamer, comme s’il leur était réellement dû, le retour de l’Opéra-Comique dans leur salle, louée pourtant par eux au nouveau théâtre de la Renaissance, qui y faisait son ouverture le 8 novembre 1838 avec le Ruy-Blas de Victor Hugo. Un journal croyait alors pouvoir avancer à ce sujet que si, par impossible, leur réclamation était admise, il en résulterait « une combinaison qui placerait le Théâtre-Italien à Favart, l’Opéra-Comique à la salle Ventadour et la Renaissance à la place de la Bourse. »

C’est ici que la question se complique de la situation du Vaudeville incendié et de son intervention dans une affaire que chaque jour semblait venir embrouiller à plaisir. Lorsque le Vaudeville, détruit par le feu et ne pouvant, j’ignore pour quelle raison, se réédifier sur l’emplacement qu’il occupait depuis près d’un demi-siècle, s’était vu sans asile, il avait, naturellement, cherché les moyens de se rétablir ailleurs. Le ministère lui avait proposé tout d’abord, aux Champs-Élysées, un terrain qu’il avait très judicieusement refusé, jugeant avec raison l’endroit peu favorable au succès d’une exploitation théâtrale. Il fut alors question successivement de la transporter rue Traversière, puis rue Grange-Batelière, puis au Cloître Saint-Honoré. Pendant ce temps, néanmoins, li avait pris un logis provisoire boulevard Bonne-Nouvelle, à côté du Gymnase, et s’était installé dans le local d’un café-spectacle dont les affaires n’étaient pas très florissantes et qu’il avait fait aménager à son usage. Mais ceci ne pouvait être qu’un expédient momentané, et il songeait plus sérieusement que jamais à retrouver et à s’assurer une demeure définitive.

C’est vers le milieu de janvier 1839 qu’il avait pris possession de cet abri temporaire. Tout à coup, au bout d’un mois, le public apprend avec une surprise mêlée de stupeur que le Vaudeville est sur le point de déposséder l’Opéra-Comique de la salle que celui-ci occupe à la place de la Bourse, et qu’il a signé le bail de la location de cette salle. Or, si le public aimait le Vaudeville, il lui préférait encore l’Opéra-Comique, et il se demandait ce qu’allait définitivement devenir ce dernier et s’il allait enfin disparaître dans la tourmente.

Devant cette nouvelle imprévue, les journaux recommencèrent à s’occuper avec ardeur de la question, et l’un d’eux, à cette époque généralement bien informé, la Revue et Gazette des Théâtres, crut devoir calmer en ces termes des alarmes qu’il croyait trop vives :

« Un journal publiait, dans un de ses derniers numéros, les lignes suivantes, à propos de l’Opéra-Comique et de la reconstruction de la salle Favart :

« L’Opéra-Comique est placé dans une étrange situation par l’orgueilleuse maladresse de ses directeurs. Croyant forcer la main à l’autorité dont ils attendaient la permission de rebâtir la salle Favart, ces messieurs ont laissé louer la leur au Vaudeville. Le bail est passé pour cinquante années, qui doivent commencer en avril ou mai 1840. De sorte que, d’ici à cette époque, si l’Opéra-Comique n’a pas trouvé un asile, il couchera dans la rue. Ce qui donne lieu de le croire, c’est que la salle des Bouffes ne sera pas reconstruite par les deux associés susdits ; le pouvoir en a senti tous les périls, il a vu que, par ce fait, le théâtre de l’Opéra-Comique serait rayé de la liste des vivants. Des mesures plus prudentes, plus en rapport avec notre dignité nationale, seront prises aussitôt que les circonstances le permettront. Mais où sera l’Opéra-Comique ? »

Nous devons répondre aux faits allégués dans les lignes précédentes, et qui sont de nature à alarmer et les auteurs et les artistes dont l’existence est attachée à celle de l’Opéra-Comique.

Nous dirons d’abord qu’il n’a jamais été question de refuser à l’Opéra-Comique la salle des Bouffes, et que tout fait présumer, au contraire, que cette mesure, qui est un acte de justice, ainsi que nous l’avons prouvé par des faits dans plusieurs articles, sera adoptée. La place des Bouffes est à l’Odéon, et, sans aucun doute, ils y resteront.

Il est vrai cependant que la salle de la Bourse est louée à la direction du Vaudeville, qui espère l’occuper en septembre. Mais, dans le cas même où, contre toute attente, les Chambres n’autoriseraient pas la reconstruction de Favart par MM. Cerfberr et Crosnier, et dans le cas où l’Opéra-Comique ne serait pas réintégré à Favart, il ne serait point pour cela exposé à rester dans la rue. Toutes les chances ont été prévues par la direction de l’Opéra-Comique, qui a, dès cet instant, à sa disposition, un terrain parfaitement situé, terrain dont elle userait, dès l’instant où les Chambres n’adhéreraient pas à son vœu.

Ainsi, tous les intérêts sont garantis[2]. »


Le même journal revenait sur ce sujet dans son numéro suivant (21 février), et disait de nouveau : — « La salle de la Bourse n’est louée au Vaudeville que pour l’an 1840 et les Chambres se seront prononcées sur la proposition de M. Crosnier dans la prochaine session. Pour l’une ou l’autre de ces constructions, l’on aura une année, ce qui est certes bien suffisant, et ainsi l’Opéra-Comique ne quittera la place de la Bourse que lorsque sa nouvelle résidence sera prête à le recevoir. »

(À suivre.)

Arthur Pougin.

À BAYREUTH


Voilà tout juste vingt ans que, sur la colline qui domine la petite ville franconienne, s’ouvrit le théâtre promis à une si grande destinée. Point n’est besoin de rappeler par quelles sortes de commentaires s’exprima d’abord l’étonnement d’une entreprise si audacieuse. Cependant toutes les résistances ont été successivement vaincues, et Bayreuth est le point lumineux vers lequel sont attirés aujourd’hui les regards du monde entier. Pour célébrer un tel anniversaire l’on a, pour la première fois, remis à la scène l’œuvre colossale qui n’avait pu être révélée que dans ce lieu d’exception, et qui cependant, après une seule série, avait cessé d’y être représentée : la tétralogie de l’Anneau du Nibelung.

Je n’ai point vu Bayreuth en 1876 ; j’imagine cependant que la physionomie des représentations et de la ville même s’est fort modifiée depuis ce temps. D’autres, plus anciens, nous ont raconté leurs impressions d’alors. « Ce fut vraiment une vie inimitable que celle qu’on mena à Bayreuth au mois d’août 1876 », écrivait récemment

  1. Lesur : Annuaire historique.
  2. Revue et Gazette des Théâtres, 17 février 1839.