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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/138

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Davies ouvrit brusquement la porte.

— Tu le paieras son prix, quand il fera beau, jeta-t-il par-dessus l’épaule. Un des hommes déboutonna promptement son caban et le lui jeta à la tête :

— Tiens, Taffy, prends ça, vieux voleur !

— Merci, cria-t-il de l’obscurité par-dessus le clapotis de l’eau vagabonde. On l’entendait barboter ; une lame embarqua dont résonna le choc sourd.

— Il n’a pas été long à prendre sa douche, prononça un vieux loup de mer renfrogné.

— Ouais, ouais ! grommelèrent d’autres.

Puis, après un long silence, Wamibo émit d’étranges gargouillements.

— Ben quoi, qu’est-ce qui te prend ? ronchonna quelqu’un.

— Il dit qu’il aurait marché à la place de Davies, expliqua Archie qui tenait d’ordinaire fonction d’interprète pour le Finnois.

— Je le crois ! dirent des voix… Te fais pas de bile, vieux Boche… T’es un frère, tête de bois… Ton tour viendra tôt assez… Tu connais pas ton bonheur…

Ils cessèrent et tous ensemble tournèrent leurs visages du côté de la porte. Singleton entrait ; il fit deux pas et resta debout, vacillant un peu. La mer sifflait, déferlant rugissante de part et d’autre de l’étrave, et le poste tremblait plein de rumeur profonde ; la lampe balancée comme un pendule jetait des éclats fumeux. Il les dévisageait d’un œil de rêve et de perplexité comme incapable de distinguer les hommes immobiles de leurs ombres mouvantes. Des murmures intimidés coururent :

— Et alors… A quoi le temps ressemble-t-il à cette heure, Singleton ?

Les marins assis sur le panneau levèrent les yeux en