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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/200

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gent, de hardes, de temps de reste… et qui ne voulait pas mourir. La terre buvait la vie… Était-ce vrai ? La tentation d’aller voir le mordit soudain. Peut-être que déjà… Quelle veine ce serait ! Il y avait de l’argent dans le coffre du bougre. Il saillit alerte des ombres dans le clair de lune et, au même instant, sa face affamée de jaune devint livide. Il ouvrit la porte de la cabine. Un choc l’arrêta net. Sûrement Jimmy était mort. Il ne remuait pas plus qu’une effigie couchée mains jointes sur le couvercle d’un cercueil de pierre. Donkin écarquilla des yeux avides qui brûlaient. Alors Jimmy, sans bouger, battit des paupières et Donkin reçut un autre choc. Ces yeux-là impressionnaient, quoi qu’on en eût. Il ferma la porte derrière lui, avec un soin minutieux, sans détacher de James Wait ses regards intensément fixés, comme s’il fût entré là à grand risque, pour livrer un secret de surprenante valeur. Jimmy ne fit pas un geste, mais coula du coin des paupières un regard languissant.

— Calme ? interrogea-t-il.

— Ouais, dit Donkin très déçu, et s’assit sur le coffre.

Jimmy respirait d’un souffle égal. Il avait l’habitude de visites analogues à toute heure de nuit ou de jour. Les hommes se succédaient. Ils élevaient des voix claires, prononçaient des mots de contentement, répétaient de vieilles facéties, l’écoutaient parler ; et chacun, en sortant, semblait laisser derrière un peu de sa propre vitalité, abandonner un peu de sa propre force en gage de l’assurance renouvelée de vie qu’il apportait, de vie indestructible ! Notre patient n’aimait pas rester seul dans sa cabine, parce que, seul, il ne lui semblait point être là du tout. Il n’y avait rien. Pas de douleur. Plus maintenant. Il allait parfaitement bien. Mais il ne jouissait pas pleinement de ce bien-être apaisé sans quelqu’un là pour s’en rendre